Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/83

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dont la France était affectée ; que celles des nations de l’Europe qui avaient vu avec indifférence, peut-être même avec plaisir, nos troubles intérieurs, notre guerre avec la Maison d’Autriche et le roi de Prusse, et peut-être nos succès contre ces deux puissances, ne pouvaient qu’être révoltées de la barbarie de l’assassinat de Louis XVI et seraient engagées par honneur à se joindre aux ennemis de la France ; que nous aurions tout l’univers contre nous et pas un allié. Ces réflexions avaient l’air de faire impression sur Gensonné ; mais, soit par la timidité, soit par la nonchalance de son caractère, il ne fit point de démarches, et il s’éloigna même depuis du général, qui eut peu d’occasions de le revoir. Il vit plusieurs autres députés, tant de ce parti que des indépendants, auxquels il représenta que, la République existant, Louis ne devait plus être regardé que comme un particulier, etc… »

Assertions sans contrôle, et trop intéressées pour être accueillies de confiance. En fait, les rapports de Gensonné et de Dumouriez continuèrent, leur correspondance ne cessa qu’à la veille de la trahison du général, et il est probable que Gensonné, qui vota bien l’appel au peuple, mais qui vota ensuite la mort du roi sans condition, aurait rompu avec Dumouriez, si celui-ci avait laissé entrevoir des desseins factieux, qui pouvaient devenir si redoutables pour ses confidents. Il est probable qu’il se borna à exprimer ses craintes pour l’avenir en des termes qui ne dépassaient guère le langage habituel des Girondins eux-mêmes. Peut-être attendait-il que ceux-ci se découvrissent avec lui et lui demandassent un appui éventuel, qu’évidemment ils ne sollicitèrent pas. Je vois bien dans une lettre de Gouverneur Morris à Washington, du 10 janvier 1793 : « Vergniaud, Guadet, etc., sont en ce moment intimes avec Dumouriez, et l’on m’assure que l’administration actuelle doit être renversée, en commençant par Pache, le ministre de la Guerre. » Mais, outre que les informations de Morris sont souvent bien légères, cette liaison politique de Dumouriez et des Girondins n’implique pas que Dumouriez ait tenté auprès d’eux en faveur de Louis XVI un grand effort.

L’hostilité contre Pache suffisait à les rapprocher. Il me paraît d’ailleurs très probable que Dumouriez désirait que les Girondins parvinssent à sauver le roi. C’était là une défaite et une humiliation pour ceux qui commençaient à menacer Dumouriez lui-même ; et je crois bien aussi qu’il prévoyait qu’un jugement de clémence surexcitant les passions révolutionnaires et démagogiques de Paris fournirait à un général l’occasion d’intervenir d’une façon légale en apparence et constitutionnelle. Mais il n’avait pas en politique la tête très forte. Danton disait de lui familièrement : « Il est très habile à la guerre, mais en politique c’est une mazette », et sans doute il n’avait pas encore bien débrouillé ses vues. Il attendait et regardait de divers côtés, et je crois que Gouverneur Morris voyait juste lorsqu’il écrivait le 6 janvier à Jefferson : « Dumouriez est à Paris depuis quelques jours. Il reste chez