Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/820

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chers et plus rares chaque jour, comme l’or et l’argent forment aussi des volumes visibles et des masses pesantes, périlleuses à transporter, inquiétantes à cacher, la peur des capitalistes en a redoublé, et c’est sur ce degré de frayeur et d’anxiété que l’agiotage a fondé ses plus terribles opérations et notre ruine. »

Quel placement en effet vont trouver les capitalistes désireux de se débarrasser d’assignats en qui ils n’ont pas confiance ? Ayant renoncé aux marchandises, aux biens-fonds, aux louis d’or et aux écus, il ne leur reste plus qu’à acheter des traites sur l’étranger, des lettres de change sur Londres, Hambourg, Amsterdam. Et c’est ici la troisième forme, la troisième période de l’agiotage, la plus terrible pour l’assignat révolutionnaire. Car ces traites sur l’étranger se font rares, la guerre presque universelle et le blocus des mers ayant interrompu les échanges internationaux. Dès lors, tous les gros porteurs d’assignats se précipitant vers ces traites et lettres de change sur l’étranger, celles-ci vont prendre, par rapport à l’assignat, une valeur énorme. Et si, en France même, le change entre l’assignat et l’or est désastreux pour l’assignat, le change entre l’assignat et les effets de banque sur l’étranger est plus désastreux encore. Le discrédit de l’assignat sur les marchés du dehors est colossal, et il réagit sur le crédit de l’assignat au dedans. De là, depuis deux mois, une chute terrible des assignats sur tous les marchés de France comme sur tous les marchés du monde. Oui, mais comme les lettres de change sur l’étranger sont vite absorbées, cette cause de discrédit cesserait vite de fonctionner. Il n’y aurait plus pour l’assignat occasion de se mesurer avec les effets de banque sur l’étranger ; et, dès lors, comme c’est l’opinion seule qui, par ses mouvements, précipite les cours, l’opinion n’étant plus avertie chaque jour par le contraste violent de la valeur de l’assignat et de la valeur des effets sur l’étranger, retournerait peut-être à l’assignat. Mais, c’est ici, dans la construction dialectique de Fabre d’Églantine, qu’intervient l’infernal génie de Pitt.

Pitt a résolu d’alimenter la spéculation à la baisse sur les assignats au moyen des lettres de change sur Londres. Il a des agents à Paris, des courtiers juifs et cosmopolites, des banquiers et sous-banquiers ; et ceux-ci sont autorisés à tirer des effets sur les banquiers de Londres.

Les banquiers de Londres, jouant le jeu de Pitt, paient ; et quand les banquiers de Paris, également dans le jeu, doivent les rembourser au bout de trois mois, s’ils subissent une perte parce que l’assignat a baissé dans l’intervalle, c’est Pitt qui supporte la différence. Ainsi le Trésor anglais fait les frais d’un jeu systématique et constant à la baisse sur l’assignat français. C’est une façon nouvelle de faire la guerre. Je ne sais si Fabre d’Églantine n’a pas cédé à la tentation de construire un système ingénieux. Peut-être a-t-il trop simplifié l’évolution de l’agiotage ; il me paraît probable que les périodes qu’il distingue empiétaient l’une sur l’autre, et tout en se succédant se su-