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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/827

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ces ont arrêté un projet de loi qui doit, non porter le pain au taux des salaires, ce qui est subversif de tout principe, mais les salaires au taux des denrées, ce qui est d’exacte justice ; cette loi contraindra le propriétaire et le cultivateur, pour leur propre intérêt, à ne point porter les denrées à des prix excessifs. »

C’est donc une échelle mobile des salaires que deux comités de la Convention avaient voulu établir par la loi, plutôt que de se prêter à la taxation des denrées. Mais comment adapter sûrement les salaires à la variation incessante des denrées ? Comment mettre le fabricant, dont peut-être le produit n’aura pas haussé de valeur, dans l’obligation de payer à ses ouvriers le salaire proportionné au prix que des manœuvres d’accaparement et d’agiotage donneront aux denrées ? De plus, quelle sera la sauvegarde des humbles citoyens qui ne reçoivent pas de salaire, des modestes artisans qui pourront être affamés soudain par le prix exorbitant des choses nécessaires à la vie ? Ainsi se fermait l’issue par où la Convention cherchait à s’évader.

D’autres, comme Dubois-Crancé, proposaient d’établir, dans toute la France, des magasins où l’on vendrait le pain à deux sous : la nation ferait les frais de la différence. C’était l’extension à tout le pays du régime de subvention pratiqué à Paris. Mais quoi ! la nation, pour faire face à cette dépense énorme, allait être obligée d’émettre encore des assignats, c’est-à-dire de hausser encore le prix des denrées, sauf le pain. Et suffisait-il donc de donner au peuple le pain bon marché, si, pour tout le reste, pour la viande, pour les vêtements, pour les matières premières de l’industrie, il fallait subir des prix effroyables ? La Convention flottait donc, incertaine, impuissante. Cambon qui, sans doute, désirait tout bas le maximum et en pressentait les heureux effets pour le crédit de l’assignat, n’osait pas proclamer que sa politique économique et financière était au fond celle de Jacques Roux.

C’est un mouvement du peuple qui emporta toutes les hésitations et toutes les résistances.

Le 4 septembre au soir, la Commune fut envahie par une grande foule : c’étaient des pauvres, des artisans, des prolétaires qui venaient crier qu’ils en avaient assez des prix de famine, de la rareté croissante, de la cherté plus dure tous les jours. Ils emplissaient la grande salle : ils couvraient la place de l’Hôtel de Ville.

« Quel mauvais pain mêlé d’orge nous mangeons ! que font nos administrateurs ? Pourquoi Garcin refuse-t-il au peuple l’entrée des magasins et le contrôle des opérations ? Est-ce qu’il volerait, lui aussi ? Il a délégué, pour les achats de grains de boulangerie, des meuniers connus dans toute la région, Lorfèvre meunier à Pontoise, Garreau boulanger à Versailles, Lapareillé boulanger, les fermiers les connaissent, et quand ils se présentent pour acheter ils disent : « Ah ! ce sont les hommes de Garcin : Paris a besoin de pain ». Et ils haussent les prix. Quels accapareurs ! et tous ces courtiers ont encore vingt sous