Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/845

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Quels sont les moyens de terminer la guerre étrangère ?

« — De mettre des généraux républicains à la tête de nos armées et de punir ceux qui nous ont trahis.

« Quels sont les moyens de terminer la guerre civile ?

« — De punir les traîtres et les conspirateurs, surtout les députés et les administrateurs coupables ; d’envoyer des troupes patriotes, sous des chefs patriotes, pour réduire les aristocrates de Lyon, de Marseille, de Toulon, de la Vendée, du Jura et de toutes les autres contrées où l’étendard de la rébellion et du royalisme a été arboré, et de faire des exemples terribles de tous les scélérats qui ont outragé la liberté et versé le sang des patriotes.

« 1o Proscription des écrivains perfides et contre-révolutionnaires ; propagation de bons écrits ; 2o punition des traîtres et des conspirateurs, surtout des députés et des administrateurs coupables ; 3o nomination de généraux patriotes ; destitution et punition des autres ; 4o subsistances et lois populaires. »

Voilà le programme de gouvernement que Robespierre s’était tracé, et dont nous avons vu l’exécution partielle. Ce n’est à aucun degré un programme de dictature permanente. Ce qu’il se propose, c’est l’application de la Constitution, c’est-à-dire le retour à un régime normal où toute la démocratie gouvernera, et où le pouvoir ne sera pas concentré dans un Comité. Mais pour que la Constitution soit appliquée dans son esprit, c’est-à-dire « en faveur du peuple », il faut que ce peuple même, libéré de la guerre étrangère et de la guerre civile, soit en état de faire fonctionner la Constitution.

La nation abandonnée au libre jeu des partis et des classes est-elle en état de se sauver ? Non, car la classe riche est trop égoïste et la classe pauvre, la classe des sans-culottes, est trop ignorante encore. Qu’est-ce à dire ? c’est que pendant la période de crise, il faut qu’un gouvernement fort, portant en soi toute l’énergie, toute la puissance de la Révolution, s’élève au-dessus des deux classes, maîtrisant l’égoïsme de l’une, éclairant l’ignorance de l’autre, et préparant ainsi l’avènement de la démocratie légale.

Robespierre avait exprimé cette pensée sous une forme plus âpre, mais dont lui-même sans doute s’effraya ; car il a raturé sur son manuscrit ces quelques mots saisissants : « Le peuple… Quel autre obstacle y a-t-il à l’instruction du peuple ? La misère.

« Quand le peuple sera-t-il donc éclairé ?

« — Quand il aura du pain, et que les riches et le gouvernement cesseront de soudoyer des plumes et des langues perfides pour le tromper.

« Lorsque leur intérêt sera confondu avec celui du peuple.

« Quand leur intérêt sera-t-il confondu avec celui du peuple ? — Jamais »

Ce jamais implacable et pessimiste semblait enfermer éternellement la Révolution dans un cercle vicieux. Et la conclusion logique eût été une sorte