Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/847

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sante que tous les membres du Comité mettaient en commun, car les mesures prises par chacun d’eux étaient signées de tous.

C’est une erreur de croire que Robespierre était une sorte de rhéteur épris d’idées générales et capable seulement de phrases et de théories. La forme de ses discours où il procède souvent par allusion, où il enveloppe volontiers de formules générales un exposé très substantiel et des indications ou des accusations très précises, a contribué à ce malentendu. En fait, il se tenait au courant de tous les détails de l’action révolutionnaire dans le pays tout entier et aux armées ; et avec une tension d’esprit incroyable, avec un souci minutieux du réel il essayait de se représenter l’exacte valeur des hommes que la Révolution employait.

Toujours aux Jacobins il est prêt à redresser, par les renseignements les plus précis, les vagues allégations et accusations d’une démagogie querelleuse. Ces hommes ne se bornaient pas à administrer de leur bureau : ils étaient constamment en contact avec la violence des événements et des passions.

Jean Bon Saint-André faisait la tournée des ports, apaisait les émeutes de matelots, éliminait l’état-major contre-révolutionnaire, suscitait l’enthousiasme des équipages par la force de la justice, par le souci évident du bien de tous et de la grandeur de la patrie libre.

Carnot allait sur les champs de bataille veiller à l’exécution de ses plans, et il donnait l’exemple de la vigueur offensive, du courage d’assaut. Saint-Just dominait les faiblesses d’un système nerveux surmené pour affronter au premier rang les dangers et les fracas de la guerre. Et pour Robespierre, quel champ de bataille que les Jacobins ! Quelle âpre et dure vie d’aller presque tous les soirs, dans une assemblée populaire souvent houleuse et défiante, rendre compte du travail de la journée, dissiper les préventions, animer les courages, calmer les impatiences, désarmer les calomnies ! Administrer et parler, gouverner sur le forum, associer le peuple à la discipline gouvernementale, quelle terrible tâche ! Mais c’est par là que la sorte de dictature du Comité de Salut public ne tournait pas à une étroitesse de coterie ; c’est par là qu’elle était en communication avec la vie révolutionnaire.

Les hébertistes pouvaient-ils reprocher au Comité de Salut public de mauvais choix de généraux, une trop grande complaisance pour les officiers d’ancien régime ? C’était le refrain d’Hébert en juin, en juillet, en août : « Chassons tous les nobles de l’armée ! » Il remplaçait ainsi par l’intransigeance commode d’une formule générale le difficile travail d’épuration et de renouvellement qui suppose le discernement des individus. Il paraissait oublier qu’il ne suffisait point de chasser les nobles, qu’il fallait se donner le temps d’éprouver les hommes nouveaux par qui on les remplacerait.

Le Comité de Salut public était d’une vigilance extrême. Le premier mot de Robespierre, dans sa note de juin, c’est qu’il faut surveiller étroitement