Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/862

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laissées sont d’une sincérité évidente. Or, quand il combat le communisme de Babeuf, il ne songe pas un instant que lui-même a proposé, qu’il a presque imposé un régime collectiviste de l’industrie.

« La liberté, écrit-il, ne saurait être entièrement dans la dépendance du magistrat, comme l’entendaient Babeuf, Darthé, Buonarotti et autres. La liberté ne peut s’entendre que de la permission de faire ce qui n’est pas défendu par la loi. Il faut que l’homme, pour être libre, puisse diriger à sa volonté son travail, son industrie, son commerce et l’application de son intelligence aux arts et aux sciences, toutes les fois que la loi ne s’y oppose pas. Le magistrat qui forcerait l’homme dans le travail qu’il doit à la société serait un tyran, et l’homme qui subirait cette direction serait un esclave. Owen et d’autres ont essayé en Écosse et aux États-Unis un gouvernement comme Babeuf, mais dans un cercle circonscrit et comme objet de spéculation commerciale, et sans succès. »

Qu’est-ce à dire ? c’est que, même en septembre 1793, Baudot ne croyait pas ébaucher un ordre communiste, et quand l’ardeur du combat révolutionnaire fut tombée, le sens même des idées sociales qu’il formulait alors disparut de son esprit. L’horizon des jours tempérés ne se souvient même plus des grands éclairs qui traversèrent les jours ardents. Mais c’était bien un éclair de communisme révolutionnaire qui traversait en août, septembre et octobre 1793, l’horizon brûlant.

Depuis que les prolétaires, qui en général étaient Montagnards, avaient à lutter contre la bourgeoisie girondine, la contradiction entre le régime politique qui organisait leur souveraineté et le régime économique qui organisait leur dépendance commençait à leur apparaître. Et c’est dans la nationalisation générale de l’industrie que résidait pour eux la solution de l’antinomie. Le 7 août 1793, à propos d’une manufacture d’armes nationale créée à Montauban sur l’initiative de Jean Bon Saint-André, la Société populaire, où les ouvriers dominaient, lui écrit :

« C’est là que l’industrie active pourra s’exercer sans dépendre de celui qui l’exerce et sans lui faire le sacrifice d’aucune portion de sa liberté. Si la nation pouvait seule occuper toutes les mains laborieuses, elle anéantirait d’un seul coup l’aristocratie dans toutes ses ramifications et elle préviendrait pour jamais son retour. »

Les manufactures de tout ordre, manufactures d’armes, de cordages, etc., que, dans l’intérêt de la défense nationale, improvisaient partout la nation, les municipalités, multipliaient les exemples du service public industriel et suggéraient l’idée collectiviste. Les représentants en mission, ayant besoin de minerai pour fondre canons et fusils, encouragent les ouvriers mineurs par des réformes. Aux mines de plomb argentifère de Poullavrien, Laignelot assure aux ouvriers, de la part de la nation et comme complément de salaire, le pain à bon marché.