Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/870

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religion d’État : le livre du monde va être de nouveau fermé à triple sceau, et nul ne pourra, sous peine de mort, briser les scellés apposés par l’orthodoxie déiste sur l’univers.

« Quoi donc ? et quel est le blasphème proféré par Robespierre contre la Révolution ? Il a besoin d’un Être suprême pour veiller sur l’innocent et châtier le coupable. Mais cette fonction de justice, l’homme ne veut plus la laisser à Dieu : tout le sens de la Révolution, c’est qu’elle donne à l’humanité affranchie la noble mission de faire justice. Si la protection de l’innocence et le châtiment du coupable sont la fonction et la raison d’être de Dieu, c’est l’homme mainterant qui est Dieu, c’est la Révolution qui est Dieu. »

Oui, Robespierre avait fourni un beau thème à Hébert ; mais le lâche Hébert, lâche d’esprit et lâche de volonté, n’a trouvé en soi, quand il a fallu répondre, que défaillance et néant. Il ira bientôt balbutiant qu’il n’est pas athée, qu’il considère Jésus comme le premier des sans-culottes, « comme le premier fondateur du club des Jacobins ». Mais comment s’il n’ose pas faire remonter son invective jusqu’à Jésus, comment espère-t-il éliminer la religion dont Jésus est l’objet et le centre ? Il n’avait pas songé à ces choses, il avait cru que les mascarades d’un faux rationalisme pousseraient sa popularité. Il n’avait pas médité une minute sur le problème religieux, et il se taisait maintenant, par impuissance comme par poltronnerie.

Vraiment, le christianisme n’aurait pas duré dix-huit siècles s’il avait suffi de l’hébertisme pour le renverser. Et puis, ni Hébert, ni Chaumette n’avaient pris garde à ceci : c’est que, pour procéder utilement à l’arrachement du christianisme, pour anéantir la croyance en détruisant ses emblèmes et en prohibant ses cérémonies, il aurait fallu pouvoir appliquer cette politique à la fois dans toutes les régions de la France. Réduire en poudre la croix d’une commune, si la croix de la commune voisine reste debout, abattre un clocher si là-bas à l’horizon se profile la silhouette d’un autre, c’est laisser subsister l’obsession religieuse. C’est manquer cet effet d’oubli total, qui seul pouvait légitimer en quelque façon l’emploi de la violence. Or l’hébertisme savait bien, quand il se jetait dans cette politique, qu’il ne pourrait pas l’appliquer partout avec une rapidité et une simultanéité suffisantes. Et les représentants en mission constatent que le culte, un moment interrompu en une région, reprend bientôt par la contagion de la région voisine. Les communes redemandent les prêtres qu’elles ont déprêtrisés. Et tout le champ est envahi de nouveau de la superstition qu’on ne pouvait tuer qu’en la déracinant partout à la fois.

Mais quoi ! même là où l’hébertisme paraît réussir, ce n’est qu’un trompe-l’œil. Les observateurs remarquent que les fêtes de la Raison sont suivies surtout par des femmes ; elles continuent en réalité à aller à l’église : elles vont, selon le mot de Chaumette, respirer « l’odeur cadavéreuse des temples de Jésus, » même quand ces temples sont affectés à un autre culte. Elles