Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/893

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

atteint l’époque où Caton devint fou, et César un mal nécessaire. La conduite de Danton fut à l’unisson de ses principes ; mais il était trop voluptueux pour son ambition, et trop indolent pour conquérir le pouvoir suprême. »

Non, Danton ne désespérait pas ainsi de la démocratie et de la liberté, et Morris, convaincu dès lors que la France marchait rapidement au despotisme, supposait volontiers aux hommes de la Révolution les pensées dont lui-même était plein. C’est à peine s’il accorde que Robespierre fût attaché à la République :

« Je crois que l’affermissement de la République serait, tout bien considéré, ce qui lui conviendrait le mieux. »

Danton ne s’était pas amusé à souffler le feu de la fournaise et à y jeter du minerai pour assister seulement au bouillonnement du métal et pour laisser le destin refondre la statue de la monarchie. J’imagine qu’il n’avait pas un système très lié, qu’il ne voulait pas enfermer d’avance en une formule la force inconnue des événements, mais qu’il avait encore assez de confiance en lui-même et aux hommes, malgré des accès de lassitude et de dégoût, pour espérer des réussites de la liberté. Mais ce qui reste inquiétant, c’est que la logique de la politique de modération hasardeuse et outrancière des dantonistes les conduisait à une alliance involontaire avec la monarchie. Et l’ambiguïté de la conduite de Danton, couvrant de son silence ou morigénant d’un ton de reproche fraternel et complaisant Fabre d’Églantine, Philippeaux et Desmoulins, jetait à tous les périls la Révolution que Robespierre, avec une obstination héroïque, voulait sauver tout à la fois de la démagogie et de la contre-révolution.

Robespierre fut exaspéré et meurtri. Du coup, après l’explosion des pamphlets de Camille, la Société des Jacobins devient une arène. Hébert, accablé en novembre par la vigoureuse et sage offensive de Robespierre, rebondit. Et l’épuration se poursuit comme une bataille où la victoire passe sans cesse d’un camp à l’autre. C’est Robespierre qui le 12 décembre fait rejeter Cloots ; Robespierre fut terrible. Il l’accusa d’avoir fait le jeu de l’ennemi par sa propagande d’irréligion et d’intolérance. Il l’accusa de méditer la guerre sans fin.

Et il alla jusqu’à l’outrager, jusqu’à animer contre lui la défiance chauvine et la jalousie. Que veut ce baron prussien ? et cet homme, avec ses cent mille livres de rente, peut-il être un sans-culotte ? Cloots, noyé sous ce flot, ne se défendit pas ; il sortit des Jacobins comme un cadavre emporté à la dérive par le courant.

Lâchement Hébert avait gardé le silence. Mais Desmoulins est obligé de se justifier le 14. Mais le 21, Nicolas insiste contre lui. Il demande que le Vieux Cordelier soit jugé ; Hébert élargit l’accusation : Fabre d’Eglantine aussi doit rendre compte de ses intrigues. La société jacobine hésite à exclure Desmoulins, d’abord à cause des services qu’il a rendus à la Révolution, et puis