Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/91

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lades, des absents par commission, et 45 députés joignirent à leur vote des commentaires. Dans le second vote, celui sur l’appel au peuple, la majorité opposée à l’appel fut considérable. 286 députés votèrent oui, mais 423 votèrent non. En ce point la Gironde était vaincue. Elle allait être obligée de se prononcer à fond et en dernier ressort sur la mort du roi. Avait-elle espéré la victoire ? Vergniaud avait exprimé ses doutes :

« Un des préopinants a paru affecté de la crainte de voir prédominer dans cette assemblée l’opinion de consulter le vœu du peuple ; je suis bien plus tourmenté par le pressentiment de voir prédominer l’opinion contraire. »

Il est vrai que ce préopinant était Robespierre, et qu’ainsi les deux partis avaient paru douter également de la victoire. Condorcet, qui révélait parfois par la complication de sa noble pensée les incertitudes de sa volonté, avait repoussé l’appel au peuple immédiat, et fait entrevoir une sorte d’appel à terme :

« Quand l’Assemblée aura prononcé la peine de mort, je voudrais que l’exécution fût suspendue jusqu’à ce que la Constitution fût finie et publiée, et que le peuple eût alors prononcé dans ses assemblées primaires, suivant les formes que la Constitution aura réglées ; mais étant consulté aujourd’hui en vertu d’un décret, s’il doit y avoir appel au peuple ou non, je dis non. »

Il avait dû flotter et hésiter beaucoup, car je lis dans son journal, la Chronique de Paris, dans le numéro du 15 janvier, qui contient un article signé de lui, la reproduction évidemment complaisante d’un long article du Mercure, intitulé : Réponse d’un citoyen de Paris à la lettre d’un Anglais, où il est dit :

« Je sens bien que sous une feinte sensibilité, votre cour et toutes les autres puissances trouveraient mieux leur profit dans la mort de Louis XVI ; mais la Convention nationale paraît résolue à consulter le vœu des assemblées primaires. Si Louis est condamné, ce sera par la nation entière, et si c’est un crime aux yeux des despotes, ce sera le crime de tous les Français ; c’est vous dire assez que, quelle que soit l’issue de cet événement, la République n’en sera pas moins unie, et il est possible que, connaissant toute sa force, elle donne en même temps un exemple de sa générosité. C’est en réunissant toutes ces considérations que j’ai de la peine à croire que votre gouvernement se détermine sérieusement à la guerre. »

Cela paraissait dans le journal de Condorcet le jour même où Condorcet émettait son vote contre l’appel au peuple, dans les termes que j’ai cités.

Même parmi ceux qui étaient plus près que Condorcet de la Gironde, il y avait eu incertitude. Plusieurs étaient opposés à l’appel au peuple, et Vergniaud avait dû les ménager.

« Je sais d’ailleurs, avait-il dit, que l’opinion que je combats est celle de plusieurs patriotes, dont je respecte également le courage, les lumières et la probité. »