Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/912

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La faction, c’est donc le parti mêlé de Danton et de Robespierre. Les dantonistes veulent sauver les soixante-six, parce qu’ils se sentent comme eux comptables de leurs crimes à l’échafaud. Robespierre veut les sauver pour avoir une clientèle terrifiée et docile qui lui permette d’installer sa dictature.

Pourquoi Chabot n’est-il pas encore frappé ? demande Hébert. Pourquoi Fabre d’Églantine respire-t-il encore ? Parce que le rapporteur du Comité de Sûreté générale, Amar, est un ancien noble, un faiseur qui cherche à sauver les coupables. C’est donc tout le système du gouvernement révolutionnaire, la Convention et une partie de la Montagne avec Danton, le Comité de Salut public avec Robespierre, le Comité de Sûreté générale avec Amar, qu’Hébert attaque et discrédite.

Et de peur que la colère des Cordeliers ne s’épuise sur les fripons à la Chabot, c’est la responsabilité de Robespierre qu’Hébert met au premier plan.

« Les voleurs font leur métier ; ils rendront tôt ou tard à la nation ce qu’ils lui ont volé, et ce sont les meilleures économies, car tout se terminera par des restitutions ; ce ne sont donc pas les voleurs qui sont le plus à craindre, mais les ambitieux ! Les ambitieux ! ces hommes qui mettent tous les autres en avant, qui se tiennent derrière la toile ; qui, plus ils ont de pouvoir, moins ils sont rassasiables, qui veulent régner. Mais les Cordeliers ne le souffriront pas (Plusieurs voix : non ! non !) ».

Hébert accuse Robespierre d’avoir soufflé à Camille Desmoulins, derrière la toile, ses attaques contre le père Duchesne.

« Ces hommes qui ont fermé la bouche aux patriotes dans les sociétés populaires, je vous les nommerai ; depuis deux mois, je me retiens ; je me suis imposé la loi d’être circonspect, mais mon cœur ne peut plus y tenir ; en vain voudraient-ils attenter à ma liberté. Je sais ce qu’ils ont tramé, mais je trouverai des défenseurs (Toutes les voix : oui ! oui !). »

Boulanger lui crie (ce même Boulanger que bientôt défendra Robespierre) :

« Père Duchesne, parle et ne crains rien ; nous serons, nous, les pères Duchesne qui frapperont. »

Momoro insiste :

« Je te ferai le reproche que tu t’es fait à toi-même, Hébert ; c’est que depuis deux mois tu crains de dire la vérité. Parle, nous te soutiendrons. »

Vincent est presque amer :

« J’avais apporté dans ma poche un numéro du Père Duchesne, écrit il y a quatre mois ; en comparant le ton de vérité dont il est plein à ceux d’aujourd’hui, j’aurais cru que le père Duchesne était mort. »

Ainsi pressé et presque sommé, Hébert se décide à sauter le pas, à mettre personnellement Robespierre en cause, à annoncer, lui aussi, l’insurrection.