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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/915

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bin, l’absorber dans l’esprit cordelier ; et l’hébertisme en aurait reçu une grande force.

L’hébertiste Saintex le savait bien, lui qui disait dans la même séance des Jacobins :

« Je pense qu’on doit écarter des sociétés populaires tous les intrigants, tous les patriotes de circonstance ; mais je pense aussi qu’il serait impolitique, qu’il serait très nuisible à la liberté que les Jacobins refusassent leur affiliation à des sociétés qui n’ont eu la possibilité physique de se former qu’à une époque très nouvelle, depuis que des hommes énergiques et révolutionnaires ont enflammé de l’amour de la patrie, ont électrisé par le feu de leurs discours les citoyens éloignés du centre de la Révolution. N’entravons pas les progrès du patriotisme. »

La manœuvre était très dangereuse pour Robespierre et le Comité de Salut public. Il le sentit, et c’est pour cela, sans doute, qu’il fit exclure Saintex. Mais Hébert ne prit aucune part à la lutte. Comme il n’était soutenu par aucune grande idée, il était tout hébété de poltronnerie.

Sans doute, les plus confiants et les plus agissants des hébertistes comptaient sur un mouvement du peuple déterminé par la cherté des vivres. Il y avait surtout à ce moment une crise de la viande. Les six cents bœufs que la Vendée expédiait d’habitude à Paris tous les jours ne venaient plus. De plus, d’énormes réquisitions de bétail étaient faites pour d’immenses armées. Il fallait de bonne viande pour les nourrir ; il fallait du cuir pour les chausser. Et à Paris la viande manquait. C’était un effet passager et inévitable de la guerre, et les hébertistes qui voulaient la guerre à outrance, étaient bien scélérats de se servir contre le gouvernement révolutionnaire, contre le Comité de Salut public et la Convention, d’une crise économique que la guerre provoquait. Ils répandaient des affiches manuscrites aux Halles, partout où le peuple s’assemblait. Ils les faisaient distribuer aux longues files de citoyens et de citoyennes qui attendaient à la porte des boulangers, mais surtout des bouchers. Et comme ils ne pouvaient dire : « C’est la guerre », ils disaient : « C’est l’accaparement ». Hébert reprenait peu à peu, contre le commerce, contre presque tout le commerce, le thème de Jacques Roux, qu’il avait accablé et acculé au désespoir.

Mais l’expérience du 31 mai démontrait que le mouvement spontané et inorganique du peuple était inefficace. Il fallait des meneurs, un but précis, un plan, une organisation. Il ne semble pas que les hébertistes se soient assuré le concours, en quelque sorte officiel, de la Commune.

Chaumette était trop fluctuant, et on ne pouvait faire fond sur lui. Pendant toute la crise, Henriot parut préoccupé et sombre. Que ferait-il ? Il ne savait. Il se souvenait des hasardeuses journées du 31 mai et du 2 juin ; et il sentait bien que cette fois il n’aurait pas contre lui une Convention divisée, plus qu’à demi livrée à l’insurrection par Danton et Robespierre. Il se heur-