Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/931

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douzaine de propriétaires nouveaux. Pourtant il est malaisé de savoir avec une exactitude absolue de quel coefficient de démocratie les ventes sont affectées. Sous l’apparente régularité des opérations se glissèrent sans doute des spéculations et des manœuvres innombrables. D’abord le cours incertain de l’assignat permit bien des combinaisons. Il est possible notamment qu’à l’époque où l’assignat était très bas, les estimations des biens à vendre aient été faites comme si l’assignat avait son cours normal. De là pour ceux qui achetaient avec des assignats dépréciés une prime énorme que la majoration des prix aux adjudications ne suffisait pas à absorber. De plus malgré les lois et décrets qui organisaient la publicité de la vente et prohibaient les coalitions des acheteurs, l’entente secrète était toujours facile entre les riches fermiers et les riches bourgeois. Ils aimaient mieux s’assurer des prix modérés par une sorte de négociation préalable et un concert occulte que se pousser les uns les autres à de hautes enchères. Quelle que fût l’activité des comités de surveillance révolutionnaires, ils ne pouvaient contrôler toute la vie sociale des petites communes, et le révolutionnaire lyonnais qui signalait aux Jacobins les pratiques, les manœuvres des municipalités des campagnes semble ne guère compter lui-même sur la possibilité d’un contrôle exact. Au besoin, les intéressés se glissaient eux-mêmes dans les comités de surveillance. D’ailleurs, les municipalités avaient un pouvoir redoutable : elles recueillaient et transmettaient les éléments nécessaires à la détermination du maximum. Elles avaient droit de perquisition et de réquisition. Tout à l’heure ce sont elles qui vont, selon la loi, régler la quantité de blé qui sera remise à chaque ménage, soit pour la consommation, soit pour les ensemencements ; qui aurait été dans la commune chercher querelle aux administrateurs de ces municipalités rurales ? Bien des fois sans doute ils abusèrent de leur pouvoir et de leur prestige pour réaliser de fructueuses opérations : les communes ne se risquèrent guère à surenchérir contre eux.

Ni les prix n’étaient poussés aussi haut, ni le morcellement n’était poussé aussi loin qu’il eût été possible. La loi même qui prévoyait la division par lots ne contenait que des conseils et point de prescriptions. À vrai dire, il eût été malaisé de déterminer une règle mathématique pour la division des domaines mis en vente. Dans une séance des Jacobins, plusieurs députés de la Convention ne sont pas d’accord sur le sens de la loi, les uns affirment qu’elle exigeait la division par lots, les autres qu’elle ne l’exigeait pas. La vérité est que la loi un peu flottante laissait beaucoup de jeu aux spéculations des personnages comme Grandet, des puissants et habiles agioteurs de village dont Balzac a si puissamment retrouvé les opérations premières, enchevêtrées sous terre aux racines mêmes de la Révolution. Mais s’il y eut ainsi bien des tares individuelles à l’origine de bien des propriétés révolutionnaires, l’opération d’ensemble n’en fut pas moins bienfaisante et grande.