mier moyen est le triomphe rapide de la raison et de la liberté a vengé le genre humain. » C’est en Amérique d’abord que s’est produit l’ébranlement révolutionnaire ; c’est de là qu’il s’est propagé en France, et Condorcet montre avec une force admirable comment la Révolution française devait être plus profonde et plus décisive, plus tourmentée aussi, que la Révolution américaine :
« La Révolution américaine devait donc s’étendre bientôt en Europe, et s’il y existait un peuple où l’intérêt pour la cause des Américains eût répandu plus qu’ailleurs leurs écrits et leurs principes, qui fût à la fois le peuple le plus éclairé et un des moins libres ; celui où les philosophes avaient le plus de véritables lumières, et les gouvernements une ignorance plus insolente et plus profonde ; un peuple où les lois fussent assez au-dessous de l’esprit public, pour qu’aucun orgueil national, aucun préjugé ne l’attachât ses institutions antiques ; ce peuple n’était-il point destiné, par la nature même des choses, à donner le premier mouvement à cette révolution, que les amis de l’humanité attendaient avec tant d’espoir et d’impatience ? Elle devait donc commencer par la France.
« La maladresse de son gouvernement a précipité cette révolution ; la philosophie en a dirigé les principes ; la force populaire a détruit les obstacles qui pouvaient arrêter les mouvements.
« Elle a été plus entière que celle de l’Amérique, et par conséquent moins paisible dans l’intérieur, parce que les Américains, contents des lois civiles et criminelles qu’ils avaient reçues de l’Angleterre, n’ayant point à réformer un système vicieux d’impositions, n’ayant à détruire ni tyrannies féodales, ni distinctions héréditaires, ni corporations privilégiées, riches et puissantes, ni un système d’intolérance religieuse, se bornèrent à établir de nouveaux pouvoirs, à les substituer à ceux que la nation britannique avait jusqu’alors mis sur eux.
« Rien dans ces innovations n’attaquait la masse du peuple ; rien ne changeait les relations qui s’étaient formées entre les individus. En France, pour la raison contraire, la révolution devait embrasser l’économie tout entière de la société, changer toutes les relations sociales, et pénétrer jusqu’aux derniers anneaux de la chaîne politique ; jusqu’aux individus qui, vivant en paix de leurs biens ou de leur industrie, ne tiennent aux mouvements publics, ni par leurs opinions, ni par leurs occupations, ni par des intérêts de fortune, d’ambition et de gloire.
« Les Américains, qui paraissaient ne combattre que contre les préjugés tyranniques de la mère patrie, eurent pour alliées les puissances rivales de l’Angleterre ; tandis que les autres, jalouses de ses richesses et de son orgueil, hâtaient, par des vœux secrets, le triomphe de la justice ; aussi, l’Europe entière parut réunie contre les oppresseurs. Les Français, au contraire, ont attaqué en même temps et le despotisme des rois et l’inégalité politique des