Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/95

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vous enfin, dont la complicité avec le tyran ne peut manquer d’être révélée et a déjà transpiré de l’armoire de fer, malgré les précautions de Roland, etc… »

Tout y passe, et Cambon, que Robespierre n’aimait pas, est atteint par ricochet, avec la Gironde. Tous sont suspects de faire, pour de l’or, le jeu de l’étranger. C’est une verve de calomnie énorme, joyeuse, étourdie et féroce. On ne peut plus dire que la cour, dispersée ou captive, corrompt les révolutionnaires ; on ne peut plus dire que le roi, prisonnier et dépouillé, se sert de la liste civile pour fomenter des intrigues et acheter les représentants. Mais la coalition des tyrans dispose d’une liste civile bien plus formidable, et c’est le budget universel de la contre-révolution qui travaille, pour les dissoudre, les consciences françaises. Le monde lutte contre la France de la Révolution, et il lutte par l’or comme par le fer. Voilà ce que Desmoulins insinue aujourd’hui, sans y croire toutefois peut-être, voilà ce que d’autres croiront demain : la calomnie devient colossale comme le combat. Ô ironie ! Au moment même où le député pamphlétaire enveloppe ainsi tous ses adversaires dans une accusation de vénalité, au moment où il les submerge, c’est lui qui se plaint du déluge de la calomnie.

« Depuis quatre mois il a plu sans discontinuer des calomnies contre les plus zélés républicains : ce déluge de libelles inonde la France… la vérité, cette colombe de l’arche, n’a pas encore où reposer le pied. »

Je ne sais si cet océan d’or corrupteur, que déchaîne l’imagination de Desmoulins, poussa une de ses vagues jusqu’à la Convention et si Mailhe en fut éclaboussé. Mais vraiment la Convention, dans son ensemble, était au-dessus de ce soupçon misérable. Elle était au-dessus de la corruption et elle était aussi au-dessus de la peur. À en croire la légende contre-révolutionnaire à laquelle se sont trop prêtés les historiens comme Lamartine épris de couleur et de drame un peu grossier, la Convention, le 16 et le 17 janvier, dans cette séance de trente-six heures qui décida du sort de Louis XVI, vota sous les menaces et sous les poignards. Il paraît qu’à chaque député des hommes apostés à l’entrée de la salle disaient : « Sa tête ou la tienne » et sans doute à plus d’un Conventionnel le cœur faillit. C’est une invention grossière. Malgré ses déchirements et ses haines la Convention, à cette date, avait un grand orgueil collectif. Elle n’aurait pas souffert qu’on l’humiliât ainsi devant le pays et devant l’histoire. Quelques exclamations parties des tribunes, quelques propos de groupes minuscules ne pesaient pas et ne pouvaient pas peser dans cette lourde balance où des siècles d’histoire oscillaient. Les Montagnards surtout, qui voulaient la mort du roi, avaient intérêt à ce que le vote, espéré par eux, gardât sa majesté en gardant sa liberté. Si la Convention avait voulu que l’acte de salut public qu’elle accomplissait eût des formes judiciaires, si elle avait institué un débat public et accordé des défenseurs à Louis XVI, si elle avait donné la parole à l’accusé devant le pays