Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/950

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société ont augmentée, et pour ainsi dire produite, tient-elle à la civilisation même, ou aux imperfections actuelles de l’art social ? Doit-elle continuellement s’affaiblir pour faire place à cette égalité de fait, dernier but de l’art social qui, diminuant même les effets de la différence naturelle des facultés, ne laisse plus subsister qu’une inégalité utile à l’intérêt de tous, parce qu’elle favorisera les progrès de la civilisation, de l’instruction et de l’industrie sans entraîner ni dépendance, ni humiliation, ni appauvrissement ? En un mot les hommes approcheront-ils de cet état où tous auront les lumières nécessaires pour se conduire d’après leur propre raison dans les affaires communes de la vie, et la maintenir exempte de préjugés, pour bien connaître leurs droits et les exercer d’après leur opinion et leur conscience ; où tous pourront, par le développement de leurs facultés, obtenir des moyens sûrs de pourvoir à leurs besoins, où enfin la stupidité et la misère ne seront plus que des accidents, et non l’état habituel d’une portion de la société ? »

Oui, répond Condorcet ; et il croit que les trois espèces d’inégalité sociale : l’inégalité de richesse, l’inégalité d’état entre celui dont les moyens de subsistance assurés pour lui-même se transmettent à sa famille et celui pour qui ces moyens sont dépendants de la durée de sa vie, ou plutôt de la partie de sa vie où il est capable de travail, enfin l’inégalité d’instruction iront s’atténuant progressivement. Et parmi les moyens multiples de réduire l’inégalité qu’indique Condorcet, il insiste sur un vaste système d’assurance universelle et sociale. La mutualité, non pas étroite, non pas fragmentaire, non pas superficielle, mais étendue à tous les individus contre tous les risques, y compris contre celui qui résulte de l’absence de capital, donc la mutualité la plus voisine possible de ce que nous appelons aujourd’hui socialisme, voilà ce qu’entrevoit, ce que propose le grand esprit de Condorcet ; et ici encore c’est la science qui avec sa théorie des probabilités intervient pour démocratiser la sécurité et le bonheur.

Par le fait que les ressources d’un très grand nombre de familles dépendent de la vie, de la santé même de leur chef « une cause nécessaire d’inégalité, de dépendance et même de misère menace sans cesse la classe la plus nombreuse et la plus active de nos sociétés.

« Nous montrerons qu’on peut la détruire en grande partie en opposant le hasard à lui-même ; en assurant à celui qui atteint la vieillesse un secours produit par ses épargnes mais augmenté de celles des individus qui, en faisant le même sacrifice, meurent avant le moment d’avoir besoin d’en recueillir le fruit ; en procurant, par l’effet d’une compensation semblable, aux femmes, aux enfants, pour le moment où ils perdent leur époux, ou leur père, une ressource égale et acquise au même prix, soit pour les familles qu’afflige une mort prématurée, soit pour celles qui gardent leur chef plus longtemps ; enfin, en préparant aux enfants qui atteignent l’âge de tra-