Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/951

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vailler pour eux-mêmes et de fonder une famille nouvelle, l’avantage d’un capital nécessaire au développement de leur industrie, et s’accroissant aux dépens de ceux qu’une mort trop prompte empêche d’arriver à ce terme. C’est à l’application du calcul aux probabilités de la vie, aux placements d’argent que l’on doit l’idée de ce moyen, déjà employé avec succès, sans jamais avoir été cependant avec cette étendue, avec cette variété de formes qui les rendraient vraiment utiles, non pas seulement à quelques individus, mais à la masse entière de la société qu’ils délivreraient de cette ruine périodique d’un grand nombre de familles, source toujours renaissante de corruption et de misère.

« Nous ferons voir que ces établissements, qui peuvent être formés au nom de la puissance sociale et devenir un de ses plus grands bienfaits, peuvent être aussi le résultat d’associations particulières, qui se formeront sans aucun danger, lorsque les principes d’après lesquels les établissements doivent s’organiser seront devenus plus populaires, et que les erreurs qui ont détruit un grand nombre de ces associations cesseront d’être à craindre pour elles.

« Nous exposerons d’autres moyens d’assurer cette égalité, soit en empêchant que le crédit continue d’être un privilège si exclusivement attaché à la grande fortune, en lui donnant cependant une base non moins solide, soit en rendant les progrès de l’industrie et l’activité du commerce plus indépendants de l’existence des grands capitalistes, et c’est encore à l’application du calcul que l’on devra ces moyens. »

Condorcet songeait-il à des mutualités de crédit, et voulait il appeler dans l’industrie les modestes épargnes, qui se seraient garanties elles-mêmes par l’assurance mutuelle et la variété des placements contre les risques de faillite et de perte totale ? Le poison a glacé cette pensée si noble avant qu’elle ait livré tout son contenu. Mais ce n’est pas seulement d’égaliser la condition humaine, c’est de la hausser que se préoccupait Condorcet, et il croyait possible d’améliorer l’homme lui-même, de perfectionner ses facultés, d’aménager si bien la conduite de la vie et le fonctionnement de l’organisme que la durée de la vie serait certainement prolongée. Il croyait possible d’aiguiser et de nuancer la perception, de pénétrer par le regard jusque dans l’activité interne de la matière, dans le jeu et le mouvement des atomes, et de créer dans la conscience de l’homme un rythme de durée qui lui permette de s’associer à la vie profonde de la nature : « Serait-il absurde de chercher à rendre perceptibles et mesurables des instants qui nous échappent, à nous faire apercevoir dans la durée comme on nous fait apercevoir dans l’étendue des espaces qui sans le secours des instruments ou des méthodes artificielles resteraient insensibles ? Combien par exemple, dans nos jugements, n’entre-t-il pas d’idées successives dont nous n’avons pas la conscience ? Combien de choses que nous sentons comme simultanées et