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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/958

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C’est ce que demande notamment la Société des Jacobins de Montereau, et voici qu’un des amis les plus intimes de Robespierre, son camarade d’enfance à Arras, celui-là même qui l’a averti des cruautés de Joseph Lebon, lui écrit aussi que le commerce devrait être confié aux communes. Comment revenir au régime de la libre circulation et de la vente libre quand il est impossible d’abolir en un jour la loi du maximum, et quand celle-ci, par son seul fonctionnement, suggère des systèmes encore plus absorbants ?

Le problème politique et économique à résoudre était donc singulièrement ardu : peut-être même était-ce un problème surhumain. J’entends par là qu’il dépassait non seulement la force d’un individu, mais la force d’une nation. Cette application du calcul aux forces morales, qui était selon Condorcet le progrès suprême de la science, n’était point réalisée encore ; et nul ne savait s’il était possible de régler l’enthousiasme et la passion de tout un peuple sans les abattre, ni par quelle transition le passage de l’état révolutionnaire à l’état normal pouvait être ménagé. Il n’est donc pas surprenant qu’au lendemain même de l’écrasement de ces factions qui aggravaient le problème, mais qui le masquaient, Robespierre et ses amis aient été pris d’hésitation et d’inquiétude.

Tendre vers la paix, vers le rétablissement des rapports économiques normaux était bien leur vœu secret et leur politique ; mais ou ils n’osaient la formuler ouvertement ou ils ne savaient comment y plier les événements et les esprits. L’intrépide Saint-Just sait bien que la Terreur ne peut faire vivre la République, qu’elle ne suscite pas les vertus nécessaires et qu’elle ne sert même plus en se prolongeant à épouvanter le vice et le crime. Il sait bien que le régime des assignats et du maximum ne peut se continuer indéfiniment ; mais dans les notes mêmes où il marque pour lui la nécessité de grands changements, il se conseille à lui-même la temporisation et la prudence. Parfois aussi il paraît n’attendre le remède que de l’excès même du mal. Il écrit après la disparition des hébertistes et des dantonistes, à l’heure même où il semble qu’il n’a plus qu’à cueillir la victoire de la Révolution :

« La Révolution est glacée, tous les principes sont affaiblis ; il ne reste que des bonnets rouges portés par l’intrigue. L’exercice de la Terreur a blasé le crime, comme les liqueurs fortes blasent le palais. Sans doute, il n’est pas encore temps de faire le bien. Le bien particulier que l’on fait est un palliatif. Il faut attendre un mal général assez grand pour que l’opinion générale éprouve le besoin de mesures propres à faire le bien. Ce qui produit le bien général est toujours terrible et paraît bizarre, lorsqu’on commence trop tôt. »

À propos des denrées, il dénonce tout le système de l’assignat et de la taxation comme une invention de l’étranger.

« L’étranger, de vicissitudes en vicissitudes, nous avait conduits à ces extrémités ; lui-même, il en suggéra le remède. La première idée des taxes