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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/974

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« Un abîme est ouvert sous nos pas ; il ne faut pas hésiter à le combler de nos cadavres ; ou à triompher des traîtres. »

Robespierre monte à la tribune pour répondre. Mais les cris : « À bas le tyran ! À bas le tyran ! » couvrent sa voix ; c’était le mot d’ordre concerté dans les conciliabules nocturnes qu’avait multipliés Fouché. Tallien s’est élancé à côté de Robespierre :

« Je me suis imposé jusqu’ici le silence parce que je savais d’un homme qui approchait le tyran de la France qu’il avait formé une liste de proscription. Je n’ai pas voulu récriminer ; mais j’ai vu hier la séance des Jacobins ; j’ai frémi pour la patrie : j’ai vu se former l’armée du nouveau Cromwell, et je me suis armé d’un poignard pour lui percer le sein si la Convention nationale n’avait pas le courage de le décréter d’accusation. »

Mais, avant tout, les ennemis de Robespierre veulent briser les appuis qu’il trouverait au dehors. Tallien demande l’arrestation d’Henriot et la permanence de la Convention « jusqu’à ce que le glaive de la loi ait assuré la Révolution. » Il ne restait plus qu’à arrêter Robespierre. Mais il semble que devant l’acte décisif la Convention hésitait encore. N’allait-elle point frapper la Révolution elle-même ?

Tallien la décide et l’entraîne en élevant au-dessus de tous les individus la gloire et la force impersonnelle de la Révolution.

Il dénonce « cet homme qui devant être dans le Comité de Salut public le défenseur des opprimés, qui devant être à son poste, l’a abandonné depuis quatre décades ; et à quelle époque ? Lorsque l’armée du Nord donnait à tous ses collègues de vives sollicitudes. Il l’a abandonné pour venir calomnier le Comité, et tous ont sauvé la patrie. » (Vifs applaudissements.)

Et Tallien, ayant donné aux Comités tout le bénéfice des victoires, concentre sur Robespierre toute la responsabilité de la Terreur.

« C’est pendant le temps où Robespierre a été chargé de la police générale que les actes d’oppression particulière ont été commis. »

« — C’est faux », crie Robespierre.

Il gravit les premiers degrés de la tribune et, ne pouvant plus se faire entendre dans le tumulte, il fait appel du regard aux patriotes de la Montagne. Ils ne le connaissent plus. C’est l’heure des abandons. Ils détournent la tête. Puis, comme pour opposer coalition à coalition, Robespierre s’écrie, s’adressant à la Convention entière :

« C’est à vous, hommes purs, que je m’adresse, et non pas aux brigands. » Mais quoi ! la guillotine manœuvrée par un homme sera-t-elle chargée de discerner les hommes purs des brigands ?

La tempête s’élève plus forte. Robespierre près de sombrer interpelle Collot d’Herbois qui présidait et qui aidait au naufrage :

« Président d’assassins, me donneras-tu la parole ? »

Mais Thuriot le dantoniste a pris au fauteuil la place de Collot. Après