Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/975

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l’ombre étriquée d’Hébert, c’est la grande ombre de Danton qui préside. Et c’est Danton qui dit à Robespierre :

« Tu n’auras la parole qu’à ton tour. »

Mais Danton, vraiment, l’aurait-il dit ? La voix de Robespierre se brise et s’enroue. Garnier de l’Aube lui crie :

« Le sang de Danton t’étouffe. »

Et lui, en un dernier effort de parole :

« — C’est donc Danton que vous voulez venger. Lâches, pourquoi ne l’avez-vous pas défendu ? »

Et je crois surprendre dans cette apostrophe suprême l’accent d’un regret désespéré. L’obscur Louchet intervient pour la parole décisive : « Je demande le décret d’accusation contre Robespierre. » L’arrestation est décidée, et non pas de Robespierre seulement, mais de Saint-Just et de Couthon. Robespierre jeune et Lebas demandent eux-mêmes à être frappés avec leur grand ami.

La Convention, émue mais résolue à en finir, fait droit à leur requête : tous ensemble descendent à la barre, et sont remis aux huissiers qui hésitent à mettre la main sur ceux qui tout à l’heure encore représentaient le gouvernement de la Révolution triomphante.

Est-ce par peur aussi, ou sur un mot d’ordre secret ? Les geôliers des prisons refusent de recevoir ces prisonniers redoutables. Ceux-ci vont à l’Hôtel de Ville, et aussitôt, sur la motion de Barère, ils sont mis hors la loi. Allaient-ils répondre par la force à ce décret ? Robespierre essaiera-t-il, soutenu par la Commune, les Jacobins, la garde nationale, de faire violence à la Convention ? Plusieurs de ses amis le pressèrent d’agir.

Après quelques hésitations, il s’y refusa. Ce n’était plus un 31 mai et un 2 juin qu’on lui demandait. La Convention, en le décrétant d’arrestation, en le mettant hors la loi, s’était engagée tout entière contre lui. C’est la Convention tout entière qu’il devrait briser. Au nom de quel principe ? En vertu de quel droit ? et que ferait-il le lendemain ? Il ne serait plus qu’un dictateur perdu dans le vide et bientôt dévoré par les armées, un sous-Cromwell civil à la merci du premier aventurier militaire qui prétendrait corriger le coup d’État par le coup d’État. Il attendit. Cependant Barras et Léonard Bourdon, au nom de la Convention, parcouraient les rues de Paris, haranguant les citoyens, les appelant contre le « tyran », contre « le factieux ». Et tous ceux qui étaient lassés par la tension extrême des choses, et qui attendaient vaguement de la chute du grand homme je ne sais quel apaisement de la vie, tous ceux qu’émouvaient encore, après tant de mutilations sanglantes, le prestige de la Convention et le mot de loi, se ralliaient à eux. Ils entraînèrent plusieurs sections, et envahirent l’Hôtel de Ville. Un gendarme, d’un coup de pistolet, fracasse la mâchoire de Robespierre : Couthon est gravement blessé d’un coup