Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les autres « l’ordre judiciaire ». Or, cette organisation se divisait en deux branches : la justice et la force publique.[1]

Les principes démocratiques, dans le domaine judiciaire, tendent à remettre le soin de juger les différends et les crimes à des citoyens érigés en juges temporaires, soit par le sort, soit par l’élection, à enlever ainsi le monopole dont ils jouissent aux hommes de loi, qu’ils soient des magistrats nommés à vie par le pouvoir exécutif ou des officiers ministériels (notaires, procureurs, avoués, huissiers, greffiers, etc. devenus à prix d’argent propriétaires de leurs charges. Ils tendent encore à rendre la justice aussi voisine que possible de la gratuité, à simplifier ce que Marrast nommait « les broussailles épaisses de la procédure » et à tremper de pitié les sévérités des Codes.

Quelques pas furent faits dans cette voie. Crémieux, ministre de la justice sous le Gouvernement provisoire et sous la Commission exécutive, avait prudemment innové. Il avait laissé en place la plupart des magistrats ; il avait annoncé à grand bruit le procès des derniers ministres de la monarchie déchue, amusette à badauds, qu’on avait bientôt laissée tomber dans l’oubli. Mais il avait pris quelques mesures humaines, aboli l’exposition publique, aggravation de certaines peines, et diminué les frais de justice. Il avait supprimé le serment politique, rendu plus facile la naturalisation. Il avait introduit la réhabilitation en matière correctionnelle. Il s’était aussi préoccupé du jury qui est, en théorie, la société même faisant fonction de juge ; il avait signé le décret du 7 mars ordonnant qu’une condamnation ne pourrait plus être prononcée qu’à plus de 8 voix sur 12. Il avait aussi proposé une loi modifiant la façon dont était confectionnée la liste du jury. Il était parti de ce principe que tous les électeurs peuvent être jurés, sauf en cas d’incapacité ou de dispense. Parmi ceux qui étaient frappés d’incapacité avaient été rangés les citoyens au-dessous de trente ans, les infirmes, les illettrés, les domestiques, les faillis, les condamnés et, en plus, ceux qui remplissaient des fonctions regardées comme incompatibles avec celles-là, tels que les députés, les agents du pouvoir central, les ministres des cultes, les militaires, les instituteurs ; parmi ceux qui pouvaient être dispensés figuraient les vieillards et les pauvres ; un amendement réclamant une indemnité de deux francs par jour pour les membres du jury avait été repoussée. On avait précisé les condamnations entrainant la perte du droit de juger reconnu à tout Français ; on avait fait exception pour les petits délits politiques : mais on n’avait pas été aussi indulgent pour les délits de vagabondage et de mendicité. La loi restait ainsi de caractère bourgeois. Elle l’était encore par le mode du triage qui s’opérait sur la liste générale faite de la sorte. On avait d’abord été d’avis de faire appel à l’élection ; mais on avait eu peur d’introduire le

  1. La force publique semble se rattacher plus naturellement au pouvoir exécutif. Mais nous respectons la classification suivie par la Constituante. Voir le rapport de Marrast C. R. III, page 600.