Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/151

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amertume ces gens qui vont disant : « Il y aura des hôpitaux pour tous les malades. L’instruction sera donnée aux enfants gratuitement. C’est, avec de pareils leurres, s’écrie-t-il, que le socialisme fait des prosélytes. « Il est certain que dans les campagnes fermente alors un vieux levain révolutionnaire. En plusieurs communes l’élection de Louis Bonaparte s’était faite au cri de : « A bas les nobles ! » « A bas les prêtres ! » Le préfet de l’Aube se plaint que les paysans de son département se mettent à lire le journal. Le procureur général de Montpellier signale la lecture en commun de La Réforme, qui se fait à Prades, et il cherche un biais pour l’empêcher.

Certes la presse démocratique a peine à triompher des mauvaises volontés qu’on lui oppose. L’abonnement est coûteux et compromettant. Ceux qui s’en font les dépositaires sont en butte aux tracasseries policières et peuvent être taxés comme libraires. Il faut trouver quelque personne notable et hardie qui veuille bien courir le risque. L’histoire du Petit Bonhomme Manceau, une de ces feuilles courageuses, nous montre comment on s’y prend pour tourner l’obstacle. D’abord on l’imprime dans un département voisin ; puis c’est Guyon, un médecin républicain de Bonnétable, qui en a le dépôt chez lui ; le jour du marché, on vient le consulter, et en cachette on emporte, avec l’ordonnance, deux ou trois numéros pour soi et pour les voisins. Aux environs de Nantes, le docteur Guépin organise dans des prairies des réunions que la justice cherche à assimiler à des clubs en plein air. Les médecins, éternels adversaires de l’Église, les instituteurs, parias de l’enseignement, les agents-voyers, les facteurs, les colporteurs, qui parfois apprennent par cœur le contenu d’une brochure interdite, sont les ouvriers les plus actifs et les plus efficaces de cette conquête des paysans par la démocratie.

L’armée est aussi entreprise et entamée. « Tous les efforts des rouges, écrit Castellane, se portent à la corrompre. « Bien que les journaux conservateurs aient seuls leurs grandes entrées dans les casernes, les autres y pénètrent subrepticement. Il faut éloigner de Paris plusieurs régiments qui n’ont pas échappé à la contagion, les sous-officiers, arrêtés pour la plupart dans les grades inférieurs, comme avant 1789, sont les propagateurs ordinaires des théories nouvelles. Plusieurs furent candidats, Boichot, Ratier, Commissaire, sous prétexte qu’ils tiennent des propos « anarchiques et incendiaires », on les punit en les mettant à la salle de police ; leurs hommes se mutinent, leurs amis leur envoient des fleurs. — Les votes de l’armée sont socialistes, — dit Ledru-Rollin et répètent des généraux. On a déjà privé du droit de vote les soldats en campagne et l’on a parlé de l’enlever aux autres.

Ainsi la République réformiste gagnait du terrain, sans compter son expansion dans les villes, A Strasbourg, par exemple, les gardes nationaux criaient : Vive la Montagne ! Comme dit un témoin : « Au 10 Décembre, ils