Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/163

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Les hostilités éclatèrent dès le début. La nouvelle du siège de Rome parvint à Paris dans les premiers jours de juin. Aussitôt colère et indignation parmi les démocrates. L’article V de la Constitution était violé, on ne saurait le nier. Ledru-Rollin, le 11 juin, dépose un acte d’accusation contre le Président, contre le ministère, dont Odilon Barrot est demeuré le chef et où sont entrés trois nouveaux collaborateurs de même couleur que lui : Dufaure, Lanjuinais, Tocqueville. Comme Odilon Barrot répond d’une façon provocante, Ledru-Rollin s’écrie : « Nous défendrons la Constitution par tous les moyens possibles, même par les armes. » On a beaucoup reproché à Ledru-Rollin ces paroles. Mais c’est lui reprocher d’avoir été trop fidèle à ses engagements. Le programme sur lequel il venait d’être élu prévoyait et ordonnait cette prise d’armes, suprême recours des peuples, lorsque la loi n’est pas observée par leurs maîtres ou par leurs mandataires. Seulement ces appels à la force doivent être sanctionnés par le succès ou par le martyre. Or sur quels moyens d’action pouvait compter la Montagne pour soutenir une résolution aussi grave ? La Commission des vingt-cinq, nommée par le Comité électoral de Paris, promettait un soulèvement, parlait de milliers d’hommes armés et organisés. Mais rien de plus dangereux pour la conduite d’un parti que ces petits groupements parisiens, évoluant dans un milieu aussi exalté que restreint et féconds en illusions sur la masse et l’influence de ceux qui sont prêts à les suivre. Il paraît que Ledru-Rollin avait omis de consulter la Montagne avant de lancer sa menace d’insurrection. Quand elle débattit la question, elle était déjà engagée par son principal orateur ; sur l’avis conforme de Michel de Bourges, malgré Baudin et quelques autres, elle se résigna plus qu’elle ne se résolut à marcher.

Et, de fait, l’entreprise était folle. Dans Paris, ravagé par le choléra, un peuple privé depuis un an de ses fusils et de ses éléments les plus énergiques et qui ne voulait point se faire casser les os pour une chose se passant à cinq cents lieues de là ; une petite bourgeoisie mécontente, ayant grande envie de le montrer, mais peu soucieuse de risquer une bataille inégale contre une garnison très forte ; la garde nationale indifférente ou hostile, à l’exception de son artillerie. Si les journées de Juin avaient été une levée de soldats sans chefs, ce ne pouvait être cette fois qu’une équipée de chefs sans soldats. On comptait sans doute que des régiments mettraient la crosse en l’air. Mais Changarnier. si bonnement averti par Ledru-Rollin, avait sous la main une cavalerie nombreuse, corps aristocratique, les gendarmes mobiles, qui étaient les anciens municipaux, si maltraités par le peuple au 24 Février, et qui criaient : « A bas les rouges ! », une armée enfin pliée de plus en plus à l’obéissance passive. Aussi, le 13 Juin, une colonne de manifestants, qui n’étaient même pas en armes, fut-elle aisément coupée en deux sur le boulevard et dispersée sans coup férir. Ledru-Rollin, avec une vingtaine de représentants, essaya de faire du Conservatoire des Arts-et-Métiers un centre de