Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/186

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professeur au Collège de France. Selon lui, le droit d’enseignement n’appartient qu’à l’État. C’est un des moyens par lesquels il maintient l’unité nationale. Il délègue ce droit à certains citoyens sous des conditions qu’il détermine. Si le père de famille en instruisant lui-même son fils exerce un droit naturel, l’homme qui réunit quinze ou vingt enfants pour les enseigner exerce une fonction publique qui doit être contrôlée. » Comment ! disait l’orateur, l’État ne permettra pas, dans l’intérêt purement matériel, et je dirais presque grossier, de l’ordre public, que des citoyens se réunissent en un certain nombre, simplement pour leur plaisir, simplement pour les affaires les plus vulgaires de la vie, sans les surveiller, sans savoir ce qui se passe dans cette réunion… et il permettrait qu’un certain nombre d’enfants pussent être réunis, a certains jours périodiques, sous la main d’un seul homme qui exerce l’autorité omnipotente d’une raison formée, virile, complète, développée sur de jeunes âmes qui sont impuissantes, obscures, ignorantes… sans que l’État sache ce qui se passe là !… » Barthélemy-Saint-Hilaire concluait que c’est pour l’État non seulement un droit, mais un devoir, de savoir ce qu’on fait du cœur et de l’intelligence des jeunes citoyens, par conséquent de surveiller tous les établissements où l’on prétend leur inculquer les maximes directrices de leur vie à venir.

Une quatrième opinion, intermédiaire et transactionnelle, fut celle qui l’emporta. Elle fut représentée par Dufaure et par le Comité de Constitution. Elle n’admit pas que le droit d’enseigner fût un droit délégué par l’État ni vin droit inhérent à la qualité de citoyen. Elle maintint à la fois la liberté d’enseignement et la surveillance de l’État. Mais elle renvoya aux lois organiques la détermination délicate de ce qu’il y avait à faire pour concilier ces deux principes.

Pendant qu’on discutait ainsi sur les principes, le projet Carnot était mutilé, diminué, transformé, par la commission parlementaire chargée de l’examiner, en un nouveau projet de 101 articles, qui fut déposé avec un rapport de Barthélemy-Saint-Hilaire. La réaction bourgeoise et catholique, que nous venons devoir à l’œuvre, s’y fait sentir. On commence par supprimer la gratuité, promise pourtant déjà par la Constituante de 1789, par la Chambre des députés de 1815 et par l’article 13 de la Constitution votée de la veille. Et quelles sont les raisons alléguées pour cette suppression ? Avant tout qu’on n’a pas l’argent nécessaire ; mais aussi que l’État ne doit pas l’instruction aux citoyens et que ce serait introduire dans la législation un principe dangereux ; que les gens ne tiennent qu’à ce qui leur coûte et que l’école où l’on ne paierait pas serait peu fréquentée ; que la gratuité tuerait toute concurrence et toute émulation féconde ; que l’on ferait de la sorte aux riches un cadeau injustifiable ; que l’on risquerait de diviser les générations nouvelles en deux camps, parce que l’école de l’État serait pour les petits pauvres cl l’école privée payante pour les enfants des classes aisées. On avouait bien