Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/197

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équivoques d’une loi, qui, comme devait le dire plus tard Victor Hugo, portait un masque, disait une chose et en faisait une autre, affectait de ménager l’Université en l’amoindrissant et en l’asservissant, partageait un monopole au lieu de l’abolir. Parmi ces « catholiques avant tout » qui auraient voulu un écrasement plus franc de l’ennemi, Louis Veuillot fut des premiers à l’accuser d’être un « manque de foi. » — « Elle proclame, disait-il, que nous ne croyons plus à ce que nous avons tant demandé, la liberté pleine et entière pour l’Église. » Il reprochait à Falloux, à Dupanloup. d’être des hommes d’accommodement, de transaction et d’affaires, à Montalembert lui-même d’avoir subi la contagion, et il criait à la nécessité de diviser le catholicisme, pour qu’il ne tombât pas tout entier sur la question religieuse dans les bras de l’Université et sur la question politique dans le sein du conservatisme bourgeois. Une quinzaine d’évêques repoussaient toute intrusion de l’État dans les établissements de l’Église et trouvaient « peu loyale » ou peu utile leur présence dans des Conseils où ils seraient eux-mêmes des intrus, gênés, dépaysés et noyés : « Quel rapport, s’écriait l’un d’eux, peut-il y avoir entre Jésus-Christ et Bélial ? » Falloux invitait ces mécontents à ne pas compromettre la victoire en la voulant trop complète. Montalembert se défendait comme il pouvait contre ses anciens compagnons d’armes. Il s’acharnait à leur démontrer les avantages de « l’alliance substituée à la lutte » entre le catholicisme et la bourgeoisie voltairienne. Il avouait qu’il eût mieux valu sans doute détruire purement et simplement l’Université ; mais il ajoutait qu’il fallait se résigner à son existence comme à celle de Paris, « qui a fait encore plus de mal à la France. » Peu écouté, il fut sur le point de renoncer à l’entreprise. Pourtant soutenu, sinon par les Jésuites qui demeurent dans l’ombre, du moins par leur principal prédicateur le P. Ravignan, par Dupanloup qui venait d’être arraché malgré lui à ses ouailles de Paris pour devenir évêque d’Orléans, il tâchait de faire comprendre tout le parti qu’on pouvait tirer de la loi nouvelle, si elle était votée. Un ami lui écrivait : « Les évêques vous remercieront un jour de ne pas les avoir écoutés. » Thiers promettait de le soutenir « jusqu’à extinction ». Le projet de loi fut maintenu et suivit la filière.

On essaya de le soustraire à l’examen du Conseil d’État, dont on se défiait. Il fut soumis à une Commission parlementaire de 15 membres, dont le président fut Thiers, et le rapporteur Beugnot, ancien pair de France. Elle n’hésita pas à l’aggraver. Elle supprima l’instruction primaire supérieure, les Écoles Normales ; elle porta à quinze ans la durée de l’engagement imposé aux instituteurs. Tant pis si la jeunesse déserte une carrière trop ingrate ! On sait où trouver des hommes pour combler les vides possibles ! Le rapport est déposé le 6 Octobre. Toutefois le projet remanié faillit sombrer dans le court réveil anti-clérical qu’amena le Motu proprio du pape. Le parti de l’Élysée, rapproché des républicains, pouvait, avec l’appoint des catholiques intransigeants,