Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/22

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Ils avaient commencé dès la veille. Faute de vouloir ou de savoir organiser le travail, ils s’étaient hâtés d’organiser l’aumône. Le 27 février, était publié un décret ainsi conçu :

« Le Gouvernement provisoire décrète l’établissement d’ateliers nationaux.

Le ministre des travaux publics est chargé de l’exécution du présent décret. »

Ce n’était pas chose nouvelle, tant s’en faut. C’était, au contraire, une antique tradition française de créer, dans les moments de crise économique, pour les ouvriers inoccupés, ce qu’on appelait des ateliers de charité. L’ancien régime avait abondamment usé de cette suprême ressource des jours mauvais[1] et le XIXe siècle n’y avait pas renoncé. Après 1830, le gouvernement de Louis-Philippe, avait, d’une part, distribué trente millions au commerce et à l’industrie, c’est-à-dire aux patrons, et, d’autre part, ouvert pour les travailleurs des ateliers qui leur assuraient un salaire provisoire. L’an 1837, on avait encore pris en faveur de ceux-ci des mesures analogues. Lille, Douai avaient, avant la Révolution, leurs ateliers communaux. Cet essai d’assistance par le travail, ainsi entré dans les mœurs, devait naturellement reparaître en un moment où l’achèvement des travaux entrepris pour les fortifications de Paris, la crise industrielle et commerciale venue d’Angleterre sur le continent dès 1847, la crise agricole due aux mauvaises récoltes, enfin le trouble inséparable de toute révolution condamnaient au chômage forcé des milliers et des milliers d’ouvriers. En ressuscitant une fois de plus cette institution de sauvetage, on ne s’inspirait nullement d’un principe socialiste ; l’organisation en était même confiée à Marie, adversaire avéré du socialisme ; et la vieille appellation d’ateliers de charité allait reparaître dans les circulaires ministérielles de Ledru-Rolin comme dans les communes nombreuses qui devaient imiter Paris.

Une autre mesure complétait celle-là. C’était la création de la garde nationale mobile ; on y enrôlait les jeunes faubouriens dont beaucoup avaient combattu sur les barricades et on leur attribuait une solde de 1 fr. 50 par jour. La majorité du gouvernement provisoire espérait s’attacher ainsi de deux manières différentes les ouvriers qu’elle redoutait. Peut-être croyait-elle les détourner des idées de transformation sociale qui couvaient dans les têtes les plus ardentes ; peut-être avait-elle aussi l’illusion de faire tout ce qui était licite et possible pour l’amélioration du sort des travailleurs, en appliquant ce que Lamartine appelait « les principes de la charité entre les différentes classes de citoyens. »

  1. Au temps de la Ligue, un peu plus tard sous Henri IV, on en avait institué à Paris et en d’autres villes. Sur la fin du règne de Louis XIV. en 1693, en 1695, on avait eu recours à ce moyen de lutter contre la misère. On le retrouve souvent employé au siècle suivant, notamment en 1764 et dans les années qui précédèrent la Révolution. On sait qu’au cours de celle-ci, en 1789, les chantiers ouverts, à Montmartre, pour les sans-travail avaient paru assez inquiétants aux bourgeois de Paris pour qu’ils fissent en armes l’escalade de la butte avec l’intention de les disperser.