province : « Vous feriez mieux de retenir vos places au Sénat… » C’est ce que faisait l’ex-roi Jérôme Napoléon, dont le fils avait jusqu’alors siégé à la Montagne : « Avant huit jours, disait-il, mon neveu aura fait son Coup d’État, et il s’y ralliait par avance. Des officiers dans un banquet se donnaient rendez-vous « sur le premier champ de bataille qui leur offrirait l’occasion de venger l’honneur de l’armée. » Une dame, à l’Opéra-Comique, interrogeait Morny : « On prétend qu’il va y avoir un coup de balai. Que ferez-vous ? » Et il répliquait : « Oh ! je tâcherai d’être du côté du manche. » Malgré tous ces symptômes, beaucoup de gens se rassuraient en se disant du Président : Il n’osera pas.
Il osa. La date fut renvoyée encore plusieurs fois dans les derniers jours de Novembre. Enfin tout fut décidé pour la nuit du 2 Décembre. C’était l’anniversaire d’Austerlitz et du couronnement de Napoléon Ier ; il est probable que ce fut une circonstance déterminante pour le superstitieux qu’était Louis Bonaparte. Et l’attentat commença. Avant le jour, l’Imprimerie Nationale était occupée par un bataillon ; les commissaires de police partaient dans toutes les directions avec des ordres secrets ; Vieyra, un ex-tenancier de maison louche, qui s’était distingué au 13 juin 1849 en saccageant des bureaux de feuilles démocratiques et qui venait d’être promu chef d ’État-major de la garde nationale, faisait crever les tambours déposés dans les mairies, pour qu’on ne pût battre le rappel ; les clochers étaient gardés, pour qu’on ne sonnât pas le tocsin. Morny, ministre de l’Intérieur, était maître des communications avec la province ; la garnison de Paris, sous les ordres de Magnan, était sur pied, consignée dans les casernes ou occupant tous les points stratégiques. Les imprimeries et les bureaux des journaux, sauf des deux qui étaient favorables, La Patrie et Le Constitutionnel, étaient fermés par la force armée. Le Palais-Bourbon était envahi ; le général Le Flô, questeur, avait, quelques jours auparavant, montré au colonel Espinasse, son ami, un escalier dérobé par lequel on pouvait s’échapper en cas de danger ; c’est par là que les troupes d’Espinasse pénétrèrent jusqu’à lui.
Paris, qui se lève tard, trouva en se réveillant les murs tapissés d’affiches qui annonçaient la dissolution de l’Assemblée et du Conseil d’État, le rétablissement du suffrage universel, la convocation des électeurs du 14 au 21 décembre, la mise en état de siège de Paris et des départements voisins. Ces décisions étaient commentées par deux proclamations signées de Louis Napoléon. L’une, adressée au peuple, déclarait que le Président voulait maintenir la République et la sauver des complots tramés contre elle par les hommes qui avaient « déjà perdu deux monarchies », tout en la protégeant « contre les passions subversives » ; qu’il lui proposait pour cela des institutions calquées sur celles du Consulat. L’autre, adressée aux soldats, élite de la nation et jusqu’ici traités en vaincus, les conviait, non pas à violer les lois, mais à respecter la souveraineté nationale en la personne de son élu, et