Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/251

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nous obtenons une échelle nouvelle on ils n’occupent plus du tout les mêmes places.

Le régime de la propriété étant la clef de voûte de la société, il nous faut mettre en tête ceux qui souhaitent établir l’égalité complète des conditions, qui veulent, par conséquent, abolir les distinctions créées par l’accumulation de la propriété privée en certaines mains[1]. Ce sont les communistes, et ici se rapprochent Cabet, Owen, Blanqui, Marx, si différents d’ailleurs. Engels a écrit quelque part qu’en 1868 le mot de communisme désignait un mouvement ouvrier, celui de socialisme un mouvement bourgeois. Ce n’est point tout à fait exact. La différence réelle de l’un à l’autre porte sur le nombre plus ou moins grand des choses placées sous le régime de la communauté. Dans l’Icarie de Cabet, non seulement la propriété privée devait disparaître, sauf pour les objets d’usage strictement personnel ; mais c’est en commun que l’on devait habiter et manger, comme dans un couvent ou une caserne. Marx n’allait pas si loin ; il laissait libre la consommation et quoi qu’il lançât avec fracas cette formule équivoque : Abolition de la propriété privée, il en réduisait la portée à la suppression de la propriété capitaliste, celle qui permet de s’assujettir les autres en vivant de leur travail. Il n’entendait soumettre à la méthode communiste que la production et la répartition de la richesse.

Tout en poursuivant le même idéal d’égalité ou de quasi égalité, beaucoup le voilaient ou ne le laissaient entrevoir qu’à l’horizon lointain. Pecqueur s’arrête en route ; il veut la remise de tous les capitaux entre les mains de la société, il souhaite entre tous les travailleurs une égale rétribution, mais il admet que chacun puisse en faire ce qu’il lui plaît ; il ne supprime pas, il restreint l’héritage. Son système, comme celui de Vidal, est à peu de chose près, ce qu’on a nommé depuis le collectivisme. Le mot allait être créé par Colins, un socialiste belge, qui fut parmi les blessés et les prisonniers de Juin. Lui se borne à la nationalisation du sol ; la terre cessant d’être appropriée par les individus, il lui paraît que l’égalité désirable s’établira d’elle-même. Louis Blanc espère l’absorption des industries privées par les ateliers sociaux aidés de l’État ; il veut, dans ces ateliers, des salaires égaux pour tous ; il est, sans le dire, sur la voie du communisme. On peut en dire autant de Pierre Leroux ; il estime que la production étant collective, fille de la société, fruit d’une collaboration incessante des vivants et des morts, la propriété des produits doit être aussi indivise, et que chacun, suivant la formule de Saint-Simon, doit y avoir part selon ses besoins, sa capacité et son travail. Considérant, resté fidèle à la formule de Fourier, est moins radical.

  1. Il y a deux méthodes opposées pour universaliser la propriété. L’une consiste à la morceler, de façon que chacun en ait une parcelle ; l’autre consiste à la déclarer indivise on assurant à chacun une part des produits ou du revenu. La première fut celle des lois agraires dans l’antiquité ; la seconde a prévalu dans le socialisme moderne, né surtout de la grande industrie. Il ne faut pas oublier cette distinction, si l’on veut comprendre l’antagonisme de certains théoriciens, en particulier de Karl Marx et de Proudhon.