Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/263

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termes, immerger le système gouvernemental dans le système économique. La formule est vague ; mais il s’efforce de la préciser. Point de gouvernement : car tout gouvernement est un gouvernement de classe, agissant au profit des uns, au détriment des autres. Plus de lois, fût-ce à la totalité, fût-ce à l’unanimité des voix. Aucune institution politique, à quelque degré que ce soit. Mort à l’autorité, vieux principe qui vient de la famille patriarcale ! A sa place, le contrat, toujours et partout le contrat. Non pas le contrat social tacite et présumé, à la façon de Rousseau. (Proudhon n’a pas assez d’injures pour celui qu’il nomme le charlatan genevois. Il va jusqu’à dire qu’un écrivain mérite d’être disqualifié, rien que pour avoir cité ce piètre personnage). Non, il entend un contrat débattu, consenti, signé individuellement.

Il en suit les conséquences en tout domaine. Plus de juges, des arbitres désignés par les parties elles-mêmes. Plus d’instruction publique ; des écoles libres et privées : tout au plus, pour mettre un peu d’ordre, un Bureau central d’enseignement, mais sans aucun moyen d’imposer ses volontés. Plus d’administration des finances ; seule la Cour des Comptes maintenue comme bureau de statistique. Plus d’armée, plus de patrie ; il y a des lieux de naissance, non des nationalités ; des groupes se formeront librement, toutes les populations parlant la même langue peuvent se rapprocher pour vivre et administrer en commun leurs intérêts. Mais que faut-il toujours pour constituer un groupement nouveau ? Un pacte formel qu’il résume ainsi :


« Promets-tu de respecter l’honneur, la liberté et le bien de tes frères ? Promets-tu de ne t’approprier jamais, ni par violence, ni par fraude, ni par usure, ni par agiotage, le produit ou la possession d’autrui ? Promets-tu de ne mentir et tromper jamais, ni en justice, ni dans le commerce, ni dans aucune de tes transactions ? »


— Qui n’accepte pas ce pacte fait partie de la société des sauvages. Il n’a qu’à s’en aller ou à mourir.

Une histoire n’est pas un ouvrage de controverse sociologique. Nous n’avons donc pas à discuter le système de Proudhon. Il nous suffit d’y signaler certaines pièces qui s’agencent mal entre elles. Il dit : Pas de lois ! et il dit ailleurs : Chaque corporation fera la sienne, ce qui suppose forcément un vote, une minorité convenant de se soumettre à la volonté de la majorité. Il fait intervenir, pour la constitution de la valeur, l’État qu’il a supprimé. Il veut encore que la commune, le département, l’État concèdent à de grandes compagnies ouvertes les chemins de fer, les canaux, les routes ; qu’ils vérifient ensuite les comptes de ces grandes compagnies et prononcent, si cela leur paraît nécessaire, leur dissolution ; et ce sont là au premier chef des actes d’autorité. Au fond, quoique Proudhon, avec son outrance habituelle, déclarât : — « Entre le régime des lois et le régime des contrats pas de fusion possible, il faut opter » — il se heurtait à l’impossibilité de supprimer, dans un état social quelconque, l’un de ces deux éléments essentiels, l’individuel et le collectif. Il n’était pas lui-même arrivé à sa théorie