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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/30

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dans leurs visées l’établissement d’un gouvernement constitutionnel, mais arrivaient, chez les autres, à des essais de démocratie. Ces deux mouvements, qui s’enchevêtrent et qui, tantôt allant dans le même sens, tantôt profondément divergents, rendent si confuse l’histoire de l’époque, garantissaient la France contre tout danger d’une coalition européenne. Les puissances étrangères, au dire de Falloux, pouvaient être appelées les impuissances étrangères. D’autant que l’Angleterre, maîtresse incontestée des Océans, ne songeait qu’à pousser son expansion économique et avait aussi ses difficultés intérieures avec la crise que subissaient ses manufactures et ses banques et avec l’agitation bruyante de ses démocrates qu’on nommait les chartistes.

Ainsi à l’abri d’une attaque, la République attaquerait-elle ? Prendrait-elle l’attitude héroïque et fière d’un paladin de la justice et de la pitié, disant : « Toute iniquité me regarde » et jetant le poids de son épée dans la balance du destin pour la faire pencher du côté du droit ? Ou bien renoncerait-elle à secourir les faibles ? Trahirait-elle la confiance touchante quelle leur inspirait ? S’enfermerait-elle dans un égoïsme froidement sage et implacable ? Dilemme angoissant, qui s’est mainte fois posé au cours du XIXe siècle et que nul ne pouvait trancher d’un cœur léger ! C’était, d’une part, la guerre européenne avec ses succès incertains, avec ses horreurs certaines, avec le contre-coup que ne pouvait manquer d’avoir sur la politique du dedans l’enfièvrement d’une lutte colossale ; la guerre avec des caisses vides, avec le désarroi qu’amène tout changement de régime, avec cent huit mille hommes au plus à mettre en ligne. C’était, d’autre part, l’abandon d’une tradition généreuse, un repliement sur soi-même qui pouvait être taxé de lâcheté, porter un coup mortel à la haute opinion qu’on avait de la France, lui aliéner les peuples sans lui gagner les souverains, lui laisser perdre l’occasion d’assurer sa prépondérance et le triomphe de la démocratie, et compromettre de la sorte auprès de ceux mêmes qui avaient fait la République l’autorité de ses dirigeants.

Entre les deux résolutions possibles le Gouvernement provisoire, victime de sa composition hétérogène, hésita, louvoya, équivoqua. Pendant que quelques-uns de ses membres encourageaient et aidaient sous main les réfugiés des pays voisins à tenter l’aventure de soulever leurs concitoyens, pendant qu’ils faisaient ou laissaient organiser officieusement de petites expéditions[1] officiellement désavouées, Lamartine, en sa qualité de ministre des affaires étrangères, rédigeait un manifeste où il tâchait de concilier deux politiques inconciliables.

Il se prononçait pour la paix. Il répudiait toute pensée d’agression. Il dénonçait la guerre comme un grand crime collectif et il la repoussait comme un danger pour la liberté, comme un prélude à la dictature. « Les soldats, disait-il, oublient les institutions pour les hommes. Les trônes tentent les ambitieux.

  1. Affaire de Risquons-tout, en Belgique. — Tentative de la Légion démocratique allemande, dont Karl Marx avait désiré être chef et que Georges Herwegh, un peu à contre-cœur, conduisit dans le pays de Bade. — Incursion des Voraces (Société républicaine lyonnaise), en Savoie.