Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/300

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des délits prévus et réprimés par la loi. Morin voulait qu’elle fût l’objet d’une législation spéciale et qu’elle fut passible d’un châtiment, si elle recourait à la menace et à l’intimidation ; d’autres exigeaient qu’elle tombât sous le coup de la loi, « si elle se proposait une chose injuste », question qui ne pouvait être qu’une source de débats interminables. Ce fut pourtant l’opinion qui prévalut et que fut chargé de défendre le rapporteur Rouher. Mais qui jugerait si la grève avait « un but mauvais » ? Les tribunaux ? Ils auraient donc à déclarer si le salaire était ou non suffisant, si le règlement d’atelier était ou non trop sévère. On ne niait pas l’incompétence certaine des juges ; mais on ajoutait que la liberté des coalitions serait le suicide de l’industrie. Le projet de décret contenait quelque diminution des peines pour les meneurs ou moteurs : il s’appliquait aux ouvriers de la campagne dont jusqu’alors il n’était pas fait mention. Corbon, Morin, Wolowski soutinrent qu’en prohibant à la fois les coalitions d’ouvriers et les coalitions de patrons on n’établissait qu’une égalité apparente ; que les maîtres n’avaient pas besoin de se réunir pour s’entendre ; qu’ils étaient, suivant l’expression d’Adam Smith, en état de coalition permanente ; qu’ils n’étaient jamais atteints par « ces lois de bronze », tandis qu’on enlevait aux ouvriers leur seul moyen de lutter, leur arme (un mot qui suscita des rumeurs indignées). « Tout le passé d’oppression, s’écria l’ouvrier Benoit, se reconstitue pièce par pièce et bientôt la République ne sera pour le peuple qu’un rêve, un souvenir. » Mais les partisans du statu quo affirmaient que la liberté en pareille matière serait préjudiciable aux ouvriers comme aux patrons, parce qu’elle amènerait la ruine de l’industrie, peut-être une grève générale en vue de changer la base de la société, en tout cas la formation de deux armées se mesurant du regard en attendant le combat qui les mettrait aux prises. Ils se refusaient à rayer du Code « la flétrissure » infligée aux coalitions, à organiser ce qu’ils appelaient l’insurrection dans les ateliers. La Constituante, embarrassée, ajourna la question.

L’Assemblée Législative, plus réactionnaire, maintint l’interdiction (27 nov. 1849). Pourtant les modifications apportées aux articles du Code pénal semblaient mettre sur pied d’égalité patrons et ouvriers ; elle les frappait des mêmes peines pour les mêmes délits. Léger, bien léger effort d’équité ! La statistique des grèves, durant les années qui suivent, montre combien la coalition patronale a été peu poursuivie relativement à l’autre, soit qu’elle fût presque insaisissable, comme le constatait un ministre de la justice, soit qu’elle obtint des juges d’instruction plus d’indulgence. Il en résulta que l’ouvrier, privé par surcroit du droit de réunion et d’association, demeura solidement garrotté. C’est à l’Empire et au rapporteur de la première proposition, Rouher, que fut réservé, en 1864, l’honneur de desserrer les liens qui l’étranglaient.

Lois protectrices du travail. — Si l’on empêchait ainsi la classe ouvrière