Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/327

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devait adopter, visiter, patronner un ménage pauvre. Ce qui le distinguait, c’était son esprit égalilaire. Suivant la définition d’Armand de Melun, la charité, au lieu d’être une protectrice tendant la main de haut à ceux qui sont au-dessous, se transformait en une sœur dévouée pénétrant dans une famille gênée pour partager ses souffrances et sa vie. Dans les différents quartiers de Paris, dans ses collèges, ses lycées, ses grandes Écoles, l’Œuvre eut quelque succès ; mais, le premier élan amorti, comme elle était républicaine d’origine et de tendance, comme elle planait au-dessus des différences religieuses, elle fut attaquée, puis absorbée par des œuvres catholiques ou réformées. Ce n’était pas cela qui pouvait suffire à la tâche. La charité collective demeurait plus que jamais nécessaire,

La Constituante avait repoussé le droit à l’assistance qui lui paraissait trop voisin du droit au travail. Mais l’article 13, qui contenait, suivant une expression du temps, « les soupapes de la machine sociale, » imposait à la société le devoir d’assurer l’existence des nécessiteux. Les projets abondèrent. Ceyras, préoccupé des pauvres de la campagne, à qui tout manquait. « même la pitié », réclame d’urgence un million pour les invalides des communes rurales. Guignes voudrait un dépôt de mendicité par département pour y recueillir les vagabonds et devant chaque tribunal civil un avocat des pauvres. Et, puisque la misère est mère de vices et de crimes, nous pouvons placer ici les réclamations qu’inspirait le régime des prisons, les protestations véhémentes de Schœlcher contre « ces écoles supérieures de brigands et d’assassins fondées sous le nom de bagnes. » Il y eut plusieurs projets de réforme pénitentiaire ; mais il n’en résulta rien que des rapports intéressants. Pour les pauvres des villes. Dépasse demande la création de 50 salles d’asile à Paris et Senard propose 28 août 1848’ une réorganisation des Monts de piété où les ouvriers formaient les 7/10 de la clientèle. On avait rendu gratuitement aux pauvres une partie des objets qu’ils y engagent pour traverser les moments de misère noire.

Cette opération fit descendre un rayon de lumière sur ces tristes maisons. Comme le disait Duclerc : « D’établissements de bienfaisance, ils sont peu à peu devenus des instruments de commerce et de lucre. » L’État y vendait cher son secours ; le taux des prêts était usuraire ; à Paris il atteignait 12 0/0 ; il montait dans certaines villes à 15 0/0. Les bénéfices, évalués pour Paris seulement à 10 millions de francs pour la période de 1805 à 1843, allaient en partie aux hospices, si bien que l’on faisait secourir une misère par une autre misère. La meilleure partie s’accrochait aux mains des commissaires-priseurs et des commissionnaires, qui profitaient du monopole, et des spéculateurs, qui pratiquaient l’odieux trafic des reconnaissances. Senard veut donc trois choses : leur constituer un capital qui permettra d’abaisser l’intérêt à 3 0/0 ; supprimer les offices de commissionnaires aux Monts de piété, offices qui, se transmettaient moyennant finance et qui pré-