Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/372

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pondance rendus plus faciles et moins chers, les campagnards pouvaient se mettre à voyager et à écrire comme des citadins. On ne soupçonnait pas le puissant drainage que les voies ferrées allaient exercer sur les produits de l’agriculture. En défendant les Compagnies, on se pique de défendre la liberté contre le monopole, comme si elles n’avaient pas eu un monopole de fait ; on invoque l’exemple de l’Angleterre et de l’Amérique, bien qu’il fût peu applicable en l’espèce ; on rappelle même que, lors de la première Révolution, les biens des émigrés et du clergé, au lieu de rester propriété de la nation, ont été vendus à des particuliers. On ajoute que l’exploitation par l’État sera nécessairement ruineuse et mauvaise ; qu’enfin, au moment où l’on parle d’encourager l’association parmi les ouvriers, il est singulier de déposséder des Compagnies qui sont aussi des associations.

3° La mesure est impolitique. Non seulement le vide du trésor interdit une opération qui, au lieu de se solder par 623 millions, comme le prétend le ministre, en coûtera 1.200 ; mais aussi et surtout, c’est le commencement du communisme. Un orateur, Morin, dénonce l’engrenage où la société sera prise et broyée :


« Après les chemins de fer, on nous demandera les assurances ; puis sans doute les mines, les carrières, les messageries ; puis peut-être les grandes manufactures. enfin tout ce qui est le résultat d’un développement industriel énergique et fort. Système déplorable qui fait de l’État le chef, le régulateur de la production ; des citoyens une armée de commis et de fonctionnaires ! Système qui paralyse les forces vives de la nation en les soumettant à un joug humiliant et uniforme ! »


Montalembert s’empare de quelques lignes de Proudhon, l’enfant terrible de la Révolution, et il lit l’extrait suivant :


« Oui, c’est de la question de votre propriété et de votre société qu’il s’agit ; oui, il s’agit de substituer la propriété légitime à la propriété usurpée ; oui, la remise du domaine public de la circulation à l’État que vous avez exploité et dépossédé est le premier anneau de la chaîne des questions sociales, que la Révolution de 1848 retient dans les plis de sa robe virile… »


Devant l’Assemblée effarée, l’orateur catholique évoque un spectre dont on devait tant user et abuser ; il demande si l’on veut faire de l’État « l’entrepreneur de toutes les industries et l’assureur de toutes les fortunes » ; et, suivant les paroles d’un autre orateur, le décret est combattu comme étant « l’expression d’un système de communisme, de dictature parisienne et d’un gouvernement de pachas. »

Que devenait en tout cela l’intérêt si pressant des travailleurs ? Cordier tenta ce tour de force de démontrer que le rachat était contraire à leurs intérêts ; il soutint que le travail fourni par l’État ne pourrait jamais équivaloir à celui que donnerait l’industrie privée. L’argument était faible ; on n’y insista pas ; celui qui porta vraiment était l’exploitation de la peur rouge.

Les répliques ne manquèrent pas. Mathieu de la Drôme, qui était démocrate, non socialiste, déclara railleusement :