Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/387

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la Drôme, qui fut le grand défenseur de l’accusé, demanda ironiquement pourquoi l’on n’abolissait pas, en vertu de ces arguments, les contributions indirectes, progressives à rebours, puisque, prenant 150 ou 200 francs à un homme qui a 1,000 francs à dépenser par an et 2,000 francs de plus à celui qui possède 50,000 francs de rente, elles réclament du plus pauvre 1/5 et du plus riche 1/25 seulement de son revenu. On ne répondit rien à ce raisonnement. Les républicains modérés tenaient médiocrement au fragment d’impôt progressif qu’ils avaient conservé dans leur programme. Goudchaux, appuyé par Cavaignac, proposa une transaction qui était une renonciation. Le texte qu’il fit adopter était ainsi conçu : « Chaque citoyen contribue aux charges publiques en proportion de ses facultés et de sa fortune. »

S’il crut sauver ainsi ce qui subsistait de son plan financier, il put constater bientôt l’inutilité du sacrifice qu’il avait consenti sans trop en souffrir. Il avait essayé de maintenir, pour un an, en l’amendant, l’impôt que le Gouvernement provisoire avait établi, le 19 Avril, sur les créances hypothécaires. Mais il s’était heurté à l’éternelle opposition du Comité des finances et à cette objection, juste d’ailleurs, qu’on ne frappait ainsi qu’une forme de propriété, qu’il serait plus équitable de frapper le revenu global. Après un vote qui modifiait les bases de son projet, Goudchaux l’avait retiré, avait laissé abroger purement et simplement le décret du 19 Avril. Il s’était engagé, en revanche, à déposer un projet atteignant dans son ensemble, comme on le lui avait demandé, la richesse mobilière, qui jusqu’alors était presque entièrement soustraite aux taxes. Déjà un représentant avait réclamé, sous le nom de dime républicaine, une contribution unique d’un dixième sur tous les revenus, quels qu’ils fussent. Goudchaux se bornait à un essai plus restreint : un impôt proportionnel de 60 milions devait être prélevé sur les revenus mobiliers, avec dégrèvement pour les contribuables qui n’atteignaient pas un minimum déterminé. Le but déclaré était, en épargnant les pauvres, de rétablir l’équilibre rompu entre l’agriculture et l’industrie. La Commission nommée par l’Assemblée avait approuvé, transformant seulement en impôt de quotité ce qui devait être, dans la pensée de l’auteur, impôt de répartition. Mais Goudchaux cessait d’être ministre et, le 16 Janvier 1849, le projet était retiré par arrêté du prince-président.

L’impôt sur le revenu reparut toutefois à l’Assemblée Législative. Un nouveau projet — atténué — fut déposé par Hippolyte Passy, un économiste qu’on ne pouvait certes à aucun degré taxer de socialisme. Il ne vint pas en discussion. De même les nombreux et brillants articles qu’Émile de Girardin et Proudhon écrivirent en faveur de l’impôt unique sur le capital n’eurent aucune répercussion dans la loi. La classe dominante était pour le statu quo et, tout ce qu’on peut citer en fait d’innovations, ce sont quelques mesures utiles pour rendre la comptabilité plus rapide et plus sévère ou pour mieux répartir l’impôt foncier.