Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on lui distillera goutte à goutte les crédits dont il a besoin. On l’accusera d’inertie en lui refusant les moyens d’agir. de plus, on fera nommer par les bureaux une Commission spéciale prise dans la Chambre et chargée de surveiller le gouvernement en le poussant l’épée dans les reins.

C’est encore Falloux qui opère ce mouvement tournant, au nom du Comité des travailleurs ; mais il est obligé d’avouer que le Comité était fort peu nombreux et que son président était absent au moment où la question y a été posée et traitée. Il a décidé le ministre à déposer une demande de crédit de trois millions pour les ateliers nationaux et il greffe sur cette demande provoquée par lui un acerbe réquisitoire contre la commission exécutive et le ministre. Rien n’a été fait. Il fallait décréter du travail comme la Convention décrétait la victoire. Au lieu de cela, on a tergiversé, musé. Veut-on faire peser la détresse des 115 ou 117.000 hommes qui remplissent les ateliers nationaux sur le vote du rachat des chemins de fer ? Trélat, pris de court, ne sait que réclamer un peu de patience et consentir au renvoi de sa demande dans les bureaux. Ainsi sans bruit, en fin de séance, par une manœuvre audacieuse et rapide, tous les actes du ministère concernant les ateliers nationaux sont soumis au contrôle permanent d’une commission parlementaire qui va comprendre, avec Falloux, les ennemis et futurs remplaçants de la commission exécutive : Goudchaux, Senard, etc.

Le lendemain 15 juin on discute la situation de l’Algérie. Mais la préoccupation brûlante du moment fait tout à coup irruption au milieu des débats. Pierre Leroux, prenant la parole après beaucoup d’autres orateurs, indique la colonisation agricole comme un remède au paupérisme. Dans un discours où fraternisent la statistique et le mysticisme, il dénonce la vieille, fausse et absurde économie politique comme impuissante à résoudre le problème et il convie les représentants du peuple à étudier les projets d’association qui sont le programme tout pacifique du socialisme. Il les adjure de ne pas s’opposer à l’éclosion d’une société nouvelle : « Comment contenir ce qui veut sortir, ce que la loi divine veut qui : sorte » ? Et durant cette évocation de la question sociale dans toute son ampleur, un frémissement parcourt la Chambre, Montalembert et Falloux croient devoir venir serrer la main à l’orateur. Goudchaux, qui lui succède à la tribune, commence, dans une harangue décousue et fougueuse, par reconnaître que la révolution de février a promis de résoudre cette question. Il faut donc organiser le travail, ce qui est une besogne à longue échéance. Mais il faut, en attendant, reconstituer le travail, ce qui est une besogne urgente, et pour cela il faut que les ateliers nationaux disparaissent, qu’ils disparaissent immédiatement le jour même. Point de socialisme ! Car, une des causes du mal, c’est qu’on a dit aux ouvriers : « Croisez-vous les bras ! Les ateliers seront vides. Nous les exproprierons pour cause d’utilité publique et nous vous les donnerons. » Les ouvriers ont ainsi cessé d’être honnêtes…. Et il conclut en demandant deux choses : une proclamation de la commission exécutive disant ce qu’on veut faire pour la classe ouvrière et la dissolution immédiate des ateliers nationaux.