Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dis que les députés voteraient en levant leurs chapeaux. Vernier avait repris la présidence. Romme demanda successivement la mise en liberté des patriotes, une seule espèce de pain, la recherche des farines, la permanence des sections qui nommeraient les commissaires pour les subsistances. Du Roy rédigea ces propositions ; elles furent adoptées. Goujon réclama le renouvellement des comités de gouvernement, Bourbotte l’arrestation des pamphlétaires royalistes et l’abolition de la peine de mort ; on vota cette abolition, excepté pour les émigrés et les fabricateurs de faux assignats. Duquesnoy, Prieur (de la Marne), Bourbotte et Du Roy, nommés à minuit pour exercer les fonctions du comité de sûreté générale, se rendaient en toute hâte à leur poste lorsque, à la porte, ils se heurtèrent à des gardes nationaux, principalement du quartier Vivienne et de la Chaussée d’Antin, amenés par Legendre, Auguis, etc. Les insurgés déjà moins nombreux essayèrent de résister, mais les gardes nationaux entrèrent en masse criant : À bas les Jacobins ! et ils durent s’enfuir.

Au dehors, la pluie avait dispersé la foule qui, d’ailleurs, fatiguée, satisfaite d’apprendre qu’on votait ce qu’elle désirait, était allée se coucher en colportant la bonne nouvelle. Elle croyait avoir gagné la partie, elle l’avait perdue et, cette fois, par sa faute. Les députés de la Montagne avaient fait ce qu’ils auraient dû faire le 12 germinal ; seulement il était bien tard quand la foule, après avoir gaspillé un temps précieux, leur permit d’agir. D’autre part, fatigué ou non, ce n’est pas au moment de l’action qu’on s’en va, alors même qu’il pleuvrait ; mais les insurgés parisiens, si braves devant un danger réel, n’aiment pas à être mouillés.

Revenus de leur frayeur, les modérés commencèrent par calomnier niaisement leurs adversaires ; puis, ils les frappèrent avec férocité. Au milieu des plus lâches délations, ils décrétèrent l’arrestation de quatorze de leurs collègues, Bourbotte, Duquesnoy, Du Roy, Prieur (de la Marne), Romme, Soubrany, Goujon, Albitte aîné, Peyssard, Le Carpentier (de la Manche), Pinet aîné, Borie, Fayau et Rühl (Bulletin des lois, n° CXLV-819), après avoir eu soin de faire brûler les minutes des décrets qu’ils leur reprochaient d’avoir rendus.

Cependant, le lendemain, les insurgés reposés, mais déçus, revenaient à la charge. Les sections de Montreuil, de Popincourt et des Quinze-Vingts qui composaient le faubourg Antoine, se concentraient sur la place du Palais national avec leurs canons. Les gendarmes de l’Assemblée passaient aux insurgés, ou s’en allaient, ramenant leur cheval par la bride et disant qu’ils voulaient bien combattre l’ennemi sur la frontière, mais non tirer sur le peuple (Claretie, Les Derniers Montagnards, p. 187). Inquiets, les modérés eurent recours à la ruse. Les artilleurs de leurs sections, qui occupaient le jardin des Tuileries, vinrent fraterniser avec les insurgés, des députés se joignirent à eux, on s’embrassa, la Convention fit des promesses : la foule