Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/103

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naïve se laissa prendre à ces démonstrations hypocrites et les insurgés se dispersèrent.

Le 3 (22 mai), en attendant des troupes, on arrêta et condamna ; un des condamnés, le serrurier Tinel, très aimé dans le faubourg Antoine, et qui, « ayant bu un coup », comme il le dit, ne sachant pas ce qu’il faisait, avait porté la pique sur laquelle était plantée la tête de Féraud, allait être exécuté à huit heures du soir, quand la foule le délivra et le sauva momentanément. Le soir même, les comités faisaient distribuer au dépôt des Feuillants des fusils à toute la jeunesse dorée et préparer, pour le lendemain matin, sous les ordres du général Kilmaine, une expédition contre le faubourg.

S’apercevant enfin que le gouvernement s’était joué d’eux, les ouvriers des faubourgs avaient repris les armes et dressé des barricades : il était trop tard. Ils empêchèrent bien, le matin, les 1 200 hommes du général Kilmaine, envers lesquels ils furent d’une générosité dédaigneuse, d’emporter, les deux canons de la section de Montreuil ; mais, dans la journée, le général Menou, à la tête de 20 000 hommes et plus décidé qu’il ne le sera dans quatre mois contre les royalistes, appuyait la signification d’un décret de la Convention sommant les trois sections qui composaient le faubourg de livrer certains rebelles et de remettre leurs armes, sous peine d’être privées de subsistances et bombardées. Les petits fabricants représentèrent aux ouvriers les désastres qui allaient suivre s’ils s’obstinaient à résister, et le faubourg se soumit. La vengeance pouvant librement s’exercer désormais, Paris fut traité en ville conquise ; en quelques jours, près de dix mille arrestations étaient opérées (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 752) et, chose encore plus grave, de cette époque date l’apparition du militarisme, c’est-à-dire l’influence gouvernementale du sabre et son intervention dans les affaires publiques ; la Révolution entrait dans la période militaire.

À la Convention, de nouveaux décrets d’arrestation et d’accusation atteignirent, le 5 prairial (24 mai), deux représentants dont Forestier ; sept, le 8 (27 mai), parmi lesquels Charbonnier, Escudier, Ricord et Saliceti qui, en mission dans le Midi, venaient d’être rappelés, et Laignelot ; neuf, le 9 (28 mai), il s’agit cette fois des membres des anciens comités de gouvernement qui n’ont pas encore été frappés, et Robert Lindet est du nombre avec Jeanbon Saint-André ; sont seuls exceptés Louis (du Bas-Rhin), Carnot et Prieur (de la Côte-d’Or) ; neuf, dont font partie Baudot et Javogues, le 13 (1er juin) ; c’était de nouveau le tour de représentants envoyés en mission dans les départements avant le 9 thermidor. Dénoncé ce même jour, le représentant Maure se suicidait deux jours après (15 prairial-3 juin). Le représentant Joseph Le Bon qui, dans la Somme et le Pas-de-Calais, avait eu le tort d’appliquer les lois votées par la bande acharnée après lui et dont une commission avait été, le 18 floréal (7 mai), chargée d’examiner la conduite, allait être, le 22 messidor (10 juillet), déféré au tribunal criminel de la