Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/105

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condamnés à mort. Ils avaient caché deux couteaux ; en entrant dans la pièce où se faisait la toilette des condamnés, Bourbotte se frappa avec le premier, Goujon qui avait le second couteau l’imita et l’arme dont s’était servi celui-ci passa successivement dans les mains de Romme, Duquesnoy, Du Roy et Soubrany. Goujon, Romme et Duquesnoy réussirent à se tuer, les trois autres furent rapidement menés à l’échafaud ; Soubrany était déjà mort, Du Roy et Bourbotte respiraient encore lorsque le couperet tomba. Telle fut la fin de ceux qu’on a appelés les « derniers Montagnards ».

Après avoir obtenu trente-sept condamnations à mort de la commission militaire et de sa parodie de la justice, la Convention la supprima le 16 thermidor (3 août). Le tribunal révolutionnaire, devenu inutile, avait été supprimé le 12 prairial (31 mai). La déséquilibrée Migelly, gardée un an en prison, fut condamnée à mort le 24 prairial an IV (12 juin 1796) ; elle disait avoir agi au point de vue royaliste (Idem, p. 357-358).

Les conséquences de l’insurrection de prairial an III furent celles de toutes les insurrections vaincues : le parti qui y avait pris part, le parti démocratique, fut décimé, le peuple désarmé, la garde nationale transformée, par la loi du 28 prairial (16 juin), en instrument de classe : « À un peuple libre et jaloux de le rester, dit le rapporteur, il faut des armes, mais elles doivent être confiées à des mains pures… Vous laisserez donc aux citoyens qui ont le plus de facultés la charge du service public… et vous n’appellerez aux armes les citoyens les moins aisés que dans les dangers de la patrie ». Le 24 prairial (12 juin), par l’interdiction à toute « autorité constituée » de prendre « le nom de révolutionnaire », la Convention avait porté le dernier coup aux comités révolutionnaires qui, depuis le 1er ventôse précédent (19 février), ne subsistaient que dans les communes de plus de 50 000 habitants ; peu après, le 6 fructidor (23 août), toutes les assemblées connues sous le nom de clubs ou de sociétés populaires étaient partout dissoutes ; ce fut la fin de ce qui restait de ces deux institutions maîtresses du gouvernement jacobin. Un arrêté du comité des secours publics du 29 prairial (17 juin) supprima le travail dans les ateliers de filature qui, conformément à la loi du 30 mai 1790, occupaient à Paris des femmes et des enfants sans moyens d’existence, et le remplaça « par une distribution de travail à domicile » avec un salaire « inférieur d’un dixième aux prix en usage dans les fabriques particulières » ; les secours donnés si parcimonieusement à quelques-uns risquaient par là d’entraîner l’avilissement des salaires pour tous. Les sections parisiennes furent « épurées » et les républicains sincères exclus des administrations qui se trouvèrent bientôt, composées de royalistes avec le masque constitutionnel et de modérés de plus en plus modérément républicains.

Il en fut de même en province, semble-t-il. À la séance de la Convention du 16 prairial (4 juin) ; le représentant Delecloy s’écriait : « Ce n’est pas à Paris seulement que les ennemis du bien public s’agitent pour exciter du