Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/114

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l’abbé Brothier, un ancien employé des finances, Lemaître, et le chevalier des Pomelles, ex-maréchal de camp, auxquels il adjoignait bientôt La Ville-Heurnois ancien maître des requêtes, et Duverne de Praile, lieutenant de vaisseau. Outre « l’agence de Paris » qui existait depuis 1791, il y avait une nuée d’espions au dedans et au dehors ; une autre agence, s’occupant spécialement de l’Est et du Midi, était dirigée par Perrin fait comte de Précy, et l’ancien président de Vézet auxquels, fin août 1795, devait se joindre Imbert-Colomès.

Tout ce monde intriguait. Songeant plus à eux qu’à leur cause, divisés par leurs ambitions jalouses, ils ne s’entendaient que sur la nécessité aussi patriotique que désintéressée du recours à l’étranger pour la satisfaction de leurs appétits concurrents. Les uns — le régent penchait de leur côté — préféraient agir principalement par la corruption et comptaient sur l’appui de l’Espagne, surtout sur son or pour acheter les gouvernants thermidoriens ; les autres, tels que le comte d’Artois, sans négliger la corruption, croyaient avant tout à l’efficacité de coups de force et espéraient en l’Angleterre dont l’or était accepté par tous. Sollicité ouvertement par les ultras, en cachette par les soi-disant libéraux, moins libéraux toutefois que monarchistes, les Lameth et les Mounier, alors en résidence en Suisse et qui, aussi coupables que les ultras, comprenaient mieux que leur intérêt était de garder secrètes ces odieuses manœuvres, le gouvernement anglais voulait bien servir la cause des monarchistes français, mais — ce qui aggravait la culpabilité de ceux-ci — en servant ses intérêts propres. Pitt avait déjà favorablement accueilli Puisaye, lorsque son ministre des affaires étrangères, Grenville, le 15 octobre 1794, faisait partir pour la Suisse un ami, Wickham, avec mission d’étudier par lui-même ce qu’il était possible d’attendre des diverses factions royalistes.

Arrivé à Berne le 1er novembre, Wickham était, le mois suivant, nommé chargé d’affaires et, le 12 juillet 1795, il succédait à lord Fitzgerald comme ministre plénipotentiaire.

Wickham ne tarda pas à devenir un conspirateur passionné ; il dépensait l’argent sans compter, eut des agents dans l’Est où il rêvait de fomenter un mouvement insurrectionnel, en Franche-Comté, à Dijon, à Lyon surtout, et bientôt même à Paris. Il croyait toujours réussir, parce que son argent était partout bien reçu. Le 27 mars 1795, il écrivait à son principal agent à Paris, un nommé Vincent, ancien employé de la poste aux lettres, d’entrer en relation avec des officiers, avec des représentants tels que Lanjuinais, Vernier et surtout Tallien : « Vous promettrez à ce député tout ce qu’il peut désirer s’il consent à se mettre à la tête d’un parti pour rétablir la royauté en France » (Lebon, L’Angleterre et l’émigration, p. 19)., Le 20 mai, il écrivait à Grenville : « Il paraît que certains membres du comité de salut public sont gagnés, notamment Tallien » (Idem -p. 22). Tandis que l’Angleterre organisait avec Puisaye une expédition en Bretagne, enrôlant les émigrés du conti-