Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/118

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Le 24 juin, celui qui s’était déjà proclamé régent, se proclamait roi de France et de Navarre sous le nom de Louis XVIII ; son frère, le comte d’Artois, devenait « Monsieur ». Dans son manifeste il prétendait rétablir l’ancien régime et invitait les Français à se fier à son autorité absolue et à sa clémence relative, refusée d’avance à ceux qui avaient voté la mort de la famille royale ; c’est ce qu’un royaliste conscient de la réalité des choses et des conquêtes ineffaçables de la Révolution appela « la déclaration insensée du roi » (F. Descostes, La Révolution française vue de l’étranger, Mallet du Pan d’après une correspondance inédite, p. 527). Sa grande préoccupation fut de se procurer, pour sa rentrée, un cheval blanc « capable de le porter » (Forneron, Histoire générale des émigrés, t. II, p. 77) et de régler avec d’Avaray le cérémonial du couronnement : il allait avoir vingt ans pour en soigner les détails. Il tenait beaucoup aussi à être reconnu officiellement comme roi par les puissances européennes ; mais celles-ci ne voulurent pas s’interdire la possibilité de traiter avec la République. Croyant toutefois au succès de l’expédition de Bretagne, l’Angleterre accrédita, le 10 juillet, auprès de lui, en mission « privée et confidentielle » (Lebon, L’Angleterre et l’émigration, p. 104), un représentant, lord Macartney, qui arriva à Vérone le 6 août.

Pendant ce temps, tandis que Charette prévenu de l’approche de la flotte anglaise, — d’après M. Bittard des Portes (Charette et la guerre de Vendée, p. 454), ce fut par le marquis de Rivière, aide de camp du comte d’Artois, qu’il fut informé « des derniers préparatifs de l’expédition de Quiberon » — rompait traîtreusement la pacification, attaquant, le 7 messidor (25 juin), le poste des Essarts (Vendée), où les républicains confiants jouaient aux boules, et en assassinant près de deux cents, puis lançait, à la suite de cet exploit catholique et royal, un manifeste d’insurrection, daté du 26 juin, où il annonçait la mort du fils de Louis XVI, Scépeaux et Amédée de Béjarry se rendaient à Paris. Arrivés à la fin de messidor (milieu de juillet), dans le but réel de se concerter secrètement avec l’agence de Paris, ils se posèrent insolemment en victimes, désavouèrent les émigrés, jurèrent que le manifeste de Charette était un faux (Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. 1er, p. 439), affectèrent de lui écrire, le 18 juillet (30 messidor), pour avoir son démenti, ne cherchèrent qu’à traîner les choses en longueur et, en fin de compte, quittèrent furtivement Paris à la fin de thermidor (vers le 14 août). On est surpris de la condescendance de la Convention à leur égard, alors que les modérés, ne pouvant vraiment plus s’illusionner sur les sentiments de leurs alliés royalistes, commençaient enfin à se méfier. D’Antraigues avait fait répandre un pamphlet où il déclarait que devaient être châtiés comme régicides tous ceux qui avaient prêté le serment du Jeu de Paume ; aussi Doulcet de Pontécoulant lui-même s’écriait dans la séance du 13 messidor (1er juillet) : « Jusqu’ici les républicains ont combattu pour la gloire, aujourd’hui tous les Français combattront pour leurs intérêts ».