Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/119

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Le 10 juin, l’escadre anglaise de sir John Warren mettait à la voile escortant une première armée de 4 000 émigrés avec 80 canons, 80 000 fusils, des vêtements pour 60 000 hommes, des approvisionnements de toute espèce et des « tonnes » de faux assignats (Chassin, Ibid., p. 519). Le général en chef choisi par le cabinet anglais était Puisaye ; mais le comte d’Artois dont la présence était toujours promise, lui avait fait adjoindre avec des pouvoirs égaux le comte d’Hervilly qu’il savait complaisant à sa pusillanimité. La flotte de Villaret-Joyeuse qui, venant de se réunir à celle du contre-amiral Vence, avait, le 29 prairial (17 juin), laissé échapper l’escadre du vice-amiral anglais Cornwallis non loin de l’île de Groix, par suite de la désobéissance aux signaux de certains équipages et de la mollesse de Villaret, se trouva éloignée de la côte par un coup de vent et rencontra l’escadre et le convoi de Warren. Royaliste et secondé par des officiers royalistes plus disposés à trahir leur pays qu’à le sauver, Villaret ne se hâta pas de profiter de cette occasion. Warren eut le temps d’envoyer prévenir la grande escadre de Bridport qui croisait au large et, lorsque le combat s’engagea le 5 messidor (23 juin), la flotte française était en état d’infériorité ; le désastre fut encore accru par une insubordination persistante sur laquelle le gouvernement n’osa pas faire une enquête sérieuse, inaugurant pour les états-majors un système de platitude et d’impunité de nature à ne les rendre dangereux que pour leur pays. Villaret se réfugia à Lorient après avoir perdu le Formidable, le Tigre et l’Alexandre (Lévy-Schneider, Le Conventionnel Jeanbon Saint-André, t. II, p. 1074).

Le 9 messidor (27 juin), le débarquement des troupes catholiques et royales à la solde des Anglais avait lieu dans la baie de Quiberon, près de Carnac. Le lendemain, au moment où s’achevait le débarquement, accouraient hommes, femmes, enfants, des environs « en procession, croix en tête et chantant des cantiques comme à un pèlerinage » (Chassin, Ibid., p. 452), criant : Vive la religion ! Vive le roi ! et remerciant le ciel de favoriser l’œuvre pieuse de trahison. On proclamait aussitôt Louis XVIII roi par la grâce de Dieu et de Pitt. Tandis que Puisaye voulait se lancer tout de suite à travers la Bretagne, d’Hervilly tenait à rester sur la côte et à y garder un point de débarquement suffisamment rassurant pour la couardise du comte d’Artois toujours attendu. Cependant, dès le début, 14 000 paysans habillés, armés et groupés sous trois chefs, le chevalier de Tinténiac, les comtes du Bois-Berthelot et de Vauban, s’étaient avancés jusqu’à Landevant, jusqu’à Auray et dans la direction de Vannes. D’autre part, 450 soldats républicains occupaient certains points de la presqu’île de Quiberon, où ils étaient affamés ; leur commandant, Delise, négocia, le 15 messidor (3 juillet), leur capitulation dont les premiers articles étaient « convenus », de l’aveu même de Puisaye, et écrits lorsque, entourés par des forces très supérieures, ils furent contraints de se rendre à discrétion (Chassin, Ibid., p. 456). Voilà comment les royalistes respectèrent une capitulation réelle ; en revanche, nous en ver-