Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/150

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litaire des jeunes nobles sans fortune, qu’il ne quitta que le 30 octobre 1784. Passé de là à l’École militaire de Paris, il y était depuis trois mois à peine lorsqu’il perdit son père ; la même année, il fut promu d’emblée lieutenant d’artillerie en second (septembre 1785) et envoyé au régiment dit de La Fère alors à Valence. Après y avoir fait rapidement, suivant la coutume, le service de canonnier et de tous les grades subalternes, il était, en janvier 1786, admis à exercer les fonctions de son grade.

Petit, actif, sobre, sérieux, s’isolant volontiers, dissimulé, superstitieux, vindicatif, autoritaire, d’un orgueil extrême, d’une imagination vive, mais très pratique, ayant la parole facile, la pensée rapide, la décision prompte, le goût de la destruction, attaché à sa famille, passionné pour son pays, la Corse, et ne se considérant pas comme Français, doué d’une grande puissance de travail, lisant beaucoup, s’il s’intéressait particulièrement à l’histoire et à la géographie, il était surtout fort en mathématiques. Le soin des détails quotidiens lui répugnait autant que lui plaisait la partie technique de son métier. Il ne tarda pas à montrer que les règles applicables à tous ne lui paraissaient pas faites pour lui et fut de bonne heure dénué de scrupules.

Le 1er septembre 1786, un congé de six mois lui ayant été accordé, il parvenait à le faire durer vingt et un mois. En juin 1788, il rejoignait son régiment à Auxonne. Là encore, il travailla beaucoup ; il avait entamé une histoire de la Corse à propos de laquelle, le 12 juin 1789, il écrivit à Paoli, réfugié à Londres, une lettre qui débutait ainsi : « Je naquis quand la patrie périssait. Trente mille Français vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans des flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards » (Iung, Bonaparte et son temps, t. Ier, p. 195). Tels étaient ses sentiments à l’égard de la France dont il se servait déjà plus qu’il ne la servait. Il avait adopté les idées nouvelles et rêvait d’émanciper la Corse où il s’essayait à faire de la politique lucrative chaque fois qu’il pouvait obtenir un congé ; ce fut le cas de septembre 1789 à février 1791, d’août 1791 à mai 1792 et de septembre 1792 à juin 1793. En huit ans, il compta ainsi près de cinq années d’absence de son régiment. Il prolongeait ses congés de son autorité privée, fut même destitué pour cela au commencement de 1792 ; mais, à l’aide de mensonges et de certificats de complaisance, il réussit chaque fois à reprendre sa place et, ce qui l’intéressait tout spécialement, à toucher les appointements qui ne lui étaient pas dus.

Capitaine d’artillerie à l’armée d’Italie, il fréquenta le plus possible son compatriote Saliceti, représentant en mission, et fut présenté par lui à ses collègues Ricord et Robespierre jeune avec qui il se lia. Ces relations lui valurent, en août 1793, de voir imprimer aux frais de l’État, le Souper de Beaucaire, opuscule jacobin, et, le mois suivant, de pouvoir profiter d’un heureux hasard, en remplaçant au siège de Toulon un commandant d’artillerie blessé, de faire là la connaissance de Barras qui lui sera plus tard si utile, et d’être