Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/164

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Cette loi du 11 brumaire an VII doit être comptée au nombre de celles qui ont contribué à réaliser petit à petit, ainsi que l’a montré Jaurès (p. 759 et suivantes du tome Ier), l’affranchissement de la propriété de la terre poursuivi pendant toute la Révolution : en déclarant que la rente foncière ne pourrait plus être hypothéquée, elle lui enlevait juridiquement son caractère immobilier ; la rente foncière était une partie de l’immeuble pouvant être directement revendiquée contre tous les détenteurs de celui-ci, elle en fit un simple droit de créance. Cette loi appartient cependant à une période où les jurisconsultes, qui ont toujours été plus portés vers la tradition que vers les innovations, s’efforçaient de restreindre la portée des lois révolutionnaires ; eux si rigoureusement formalistes quand il s’agit des lois de réaction, prétendaient, à cette époque, qu’il fallait plus s’inquiéter du fond — interprété par eux — que de la forme qui leur déplaisait.

Poussant jusqu’au bout un des principes essentiels de la Révolution, le principe de la souveraineté de la loi, la Convention, dans son meilleur temps, avait appliqué l’idée, rationnelle d’ailleurs, de la rétroactivité. Elle avait estimé qu’une loi nouvelle devait disposer non seulement pour l’avenir, mais pour le passé dans la mesure, appréciée par le législateur, où il pouvait être atteint. Après avoir justement repoussé, dans la Déclaration des Droits de 1793, la rétroactivité en matière de rigueur pénale, elle avait, en matière civile, — et M. Bertrand se trompait à tous les points de vue, lorsque, à la Chambre des députés, le 29 mars 1901, il concluait que « le principe est le même » partout — décidé que les lois du 5 brumaire et du 17 nivôse an II (26 octobre 1793 et 6 janvier 1794) sur les donations et les successions, et celle du 12 brumaire an II (2 novembre 1793) sur les droits des enfants nés hors mariage, auraient effet rétroactif à partir du 14 juillet 1789. À plusieurs reprises, la Convention repoussa des réclamations à ce sujet ; mais, dans sa période de réaction, elle commençait, le 5 floréal an III (24 avril 1795), par suspendre toute action basée sur l’effet rétroactif de la loi du 17 nivôse an II ; le 9 fructidor an III (26 août 1795), elle supprimait la rétroactivité de cette loi et de celle du 5 brumaire an II. Le 3 vendémiaire an IV (25 septembre 1795), elle établissait les règles à observer à ce propos pour les deux lois modifiées auxquelles, par l’article 13, elle adjoignait la loi du 12 brumaire an II ; mais, le 26 vendémiaire (18 octobre), elle suspendait l’exécution de cet article 13 et c’est, sous le Directoire, la loi du 15 thermidor an IV (2 août 1796) qui supprima définitivement la rétroactivité de la loi du 12 brumaire an II. Enfin, la Convention consacra d’une façon générale et absolue la thèse de la non rétroactivité des lois dans la Déclaration des Droits de la Constitution de l’an III (art. 14).

Toutefois une moitié du Corps législatif aurait facilement oublié, au profit d’une œuvre de réaction, ce principe de non rétroactivité appliqué contre des lois de progrès ; ce fut lorsqu’on s’efforça de restituer aux propriétaires certains avantages du régime foncier antérieur à la Révolution. La loi du 27