Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/186

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d’une influence sérieuse. Cette division, loin de s’atténuer, devait aller en s’accentuant ; les insoumissionnaires en arrivèrent à traiter les soumissionnaires aussi mal que les anciens constitutionnels et, seules, les rigueurs du Directoire purent les amener parfois à mettre une sourdine à leurs violentes attaques. « Manifestement, a écrit l’abbé Sicard (L’ancien clergé de France, t. III, les Évêques pendant la Révolution), la majorité des évêques émigrés se refuse à toute concession politique. Dans les loisirs et les méditations de l’exil, ils se demandent comment l’Église et l’État en France peuvent reprendre leurs destinées, et ils concluent invariablement qu’il faut les replacer l’un et l’autre sous l’égide de la monarchie (p. 326)…Ces théologiens de l’exil ne manquent pas de raisons pour établir qu’il faut rester en état de guerre, que prêter les serments de liberté et d’égalité, de soumission aux lois de la République et à la souveraineté du peuple, c’est trahir à la fois Dieu et le roi. Un mot nouveau, celui de soumissionnaire, désigne les partisans de la conciliation. Les irréconciliables ne le prononcent pas sans quelque mépris. À leurs yeux, les soumissionnaires ont un faux air de constitutionnels » (p. 327). À la tête des soumissionnaires étaient Emery, supérieur général de Saint-Sulpice, et de Bausset, évêque d’Alais.

Il ne faut pas oublier que, tandis que les anciens constitutionnels étaient républicains, soumissionnaires et insoumissionnaires étaient tous royalistes ; les deux groupes des anciens réfractaires différèrent entre eux non par les principes (on en trouve la preuve notamment dans l’organe des soumissionnaires, les Annales catholiques, t. III, p. 572 et 573), mais simplement par la tactique : comme on l’observe souvent en politique, les haines sont d’autant plus vives que les divergences théoriques sont moins profondes. Le pape et les jésuites semblèrent donner raison aux soumissionnaires (Ibidem, t. IV, p. 87). En tout cas, ceux-ci, selon la règle du parti prêtre, s’étaient empressés et devaient continuer de faire de la politique sous le couvert de la religion ; j’ai eu l’occasion (chap. viii) de mentionner ce que disait l’agent anglais et royaliste Wickham à leur sujet ; voici ce qu’écrivait, le 16 pluviôse an VII (4 février 1799), le commissaire du Directoire près de l’administration municipale d’Aix (Bouches-du-Rhône) : « Des cinq temples consacrés en cette commune au culte catholique, un seul, celui dit Saint-Sauveur, est desservi par des ministres attachés à la République et, malheureusement, c’est le moins fréquenté ; encore ne l’est-il que par une petite portion de la classe des citoyens les moins influents. Tout ce qui afflue dans les autres paraît bien opposé à la République. Je pourrais même dire qu’elle la déteste cordialement » (revue La Révolution française, t. XLI, p. 214).

En présence des excitations cléricales et des manœuvres royalistes, la majorité thermidorienne elle-même, pourtant si modérée, avait assez vite dû intervenir. La loi du 20 fructidor an III (6 septembre 1795), tout en posant le principe — dont la loi du 22 (S septembre) fut la mise