Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/19

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peuple dont les institutions sociales seraient telles qu’il régnerait indistinctement entre chacun de ses membres individuels la plus parfaite égalité, que le sol qu’il habiterait ne fût à personne, mais appartint à tous ; qu’enfin tout fût commun, jusqu’au produit de tous les genres d’industrie ? De semblables institutions seraient-elles autorisées par la loi naturelle ? Serait-il possible que cette société subsistât et même que les moyens de suivre une répartition absolument égale fussent praticables ? » (Advielle, Histoire de Gracchus Babeuf, t. II, p. 117.)

En 1789, il achève, sous le titre Cadastre perpétuel, un ouvrage présenté le 13 octobre à l’Assemblée nationale et entamé dès 1787. Dans le « discours préliminaire » il apparaît déjà cherchant à « atteindre la félicité commune des peuples » et partisan d’une « caisse nationale pour la subsistance des pauvres » et d’une « éducation nationale dont tous les citoyens puissent profiter ». Il se préoccupe, ce qui est assez rare à cette époque, du sort des ouvriers : « Le nombre des ouvriers s’est excessivement accru. Non seulement il en est résulté que les mêmes salaires ont pu être diminués de plus belle, mais qu’une très grande quantité de citoyens s’est vue dans l’impossibilité de trouver à s’occuper, même moyennant la faible rétribution fixée par la tyrannique et impitoyable opulence et que le malheur avait impérieusement forcé l’industrieux artisan d’accepter. Cependant le refrain ordinaire des gens qui regorgent, est d’envoyer au travail l’importun qui, poussé par les sollicitations fâcheuses des plus pressants besoins, vient réclamer auprès d’eux le plus petit secours… On l’envoie au travail ! Mais, où est-il donc si prêt à prendre, ce travail ?…

« La société n’est qu’une grande famille dans laquelle les divers membres, pourvu qu’ils concourent, chacun suivant ses facultés physiques et intellectuelles, à l’avantage général, doivent avoir des droits égaux. La terre, mère commune, eût pu n’être partagée qu’à vie, et chaque part rendue inaliénable… Nous ne pensons pas devoir prétendre à réformer le monde au point de vouloir rétablir exactement la primitive égalité : mais nous tendons à démontrer que tous ceux qui sont tombés dans l’infortune, auraient le droit de la redemander, si l’opulence persistait à leur refuser des secours honorables, et tels qu’ils puissent être regardés comme devant convenir à des égaux ; tels encore qu’ils ne permettent plus que ces mêmes égaux pussent retomber dans l’indigence révoltante où les maux accumulés des siècles précédents les ont réduits dans le moment actuel. »

On le voit, s’il pense, suivant les théories philosophiques les plus avancées de l’époque, que tous ont droit égal au bien-être, il n’est pas encore socialiste, parce qu’il ne va pas encore jusqu’à réclamer pratiquement les conséquences de ce droit, et il se borne pour l’instant à proposer la transformation des impôts en une « contribution personnelle » payée par chacun « en proportion de ses forces », de ses revenus, et en une « contribution réelle »