dans le système de Babeuf ; toutefois — nous le verrons — il n’apparaît que sous la seule forme possible alors, sous la forme utopique. D’utopique, le socialisme ne pourra devenir scientifique que lorsque, à l’imperfection des conditions économiques engendrant l’imperfection des théories socialistes, auront succédé, grâce au développement de la production par la grande industrie, les phénomènes dont une pénétrante analyse tirera les solides matériaux de la solution que la raison seule était impuissante à imposer. Mais, pour si utopique qu’ait été le socialisme à sa naissance, il n’en est pas moins vrai que, depuis Babeuf, un nouvel élément historique a fait apparition. Aussi, avant d’entamer le récit des événements qui suivirent le 9 thermidor et au cours desquels se révélera Babeuf en qualité d’agitateur socialiste, il me faut dire ce qu’avait été jusque-là l’homme qui a véritablement mis au jour le socialisme, tout au plus ébauché avant lui dans quelques publications ayant été à leur époque sans importance, ou dans quelques vagues tentatives sans résultat.
Babeuf (François-Noël), de même que d’autres révolutionnaires, devait adjoindre, puis substituer à ses prénoms un nom pris dans l’histoire de l’antiquité, Camille, de 1790 à fin septembre 1794 et ensuite Gracchus, qu’il avait cependant déjà employé parfois — on trouve, par exemple, ce dernier nom sur une brochure (Nouveau Calendrier) de la fin de 1793. Il naquit à Saint-Quentin le 23 novembre 1760. Sa famille était pauvre ; son père lui donna quelque instruction. Expéditionnaire chez un géomètre à quatorze ans, il fut aussi employé chez divers seigneurs. Vers sa vingtième année, il perdit son père. Le 13 novembre 1782, il épousa Victoire Langlet qui allait être la plus digne des femmes et dont il devait avoir plusieurs enfants. Après son mariage, il travailla, à Noyon, chez un feudiste, c’est-à-dire chez une sorte d’homme d’affaires s’occupant de ce qui concernait les fiefs ; puis, chez un arpenteur, à Roye où, en 1787, il était commissaire à terrier. Le commissaire à terrier surveillait le maintien des droits dépendant des terres : « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales, a-t-il écrit (no 29 du Tribun du Peuple),que je découvris les affreux mystères des usurpations de la caste noble. Je les dévoilai au peuple par des écrits brûlants, publiés dès l’aurore de la Révolution ». Ruiné à la suite d’un procès contre un marquis qui était son débiteur, il se trouva dans une situation difficile, ayant à subvenir aux besoins non seulement de sa femme et de deux enfants, mais encore de sa mère et de ses frères et sœurs.
Sa première publication serait de 1786 si on lui attribue une brochure anonyme, dont il fut le zélé propagateur, contre les privilèges militaires de la noblesse. L’année suivante, le 21 mars, au cours d’une correspondance avec le secrétaire de l’académie d’Arras, où percent déjà des tendances communistes, il indiquait, comme sujet à traiter, la question suivante ; « Avec la somme générale de connaissances maintenant acquise, quel serait l’état d’un