Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/22

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avec profusion, et par ses dits écrits et par ses paroles, sur la souveraineté du peuple, sur la manière dont il devait et pouvait exercer ses droits, sans parler à dessein de ses devoirs, excitent même de la fermentation chez nos voisins ». Les témoignages lui ayant été favorables, il eut la chance d’être relâché la veille du jour où l’accusateur public de Montdidier recevait communication de la lettre du 14 avril, à laquelle il a été fait allusion plus haut, et par laquelle le directoire du département lui ordonnait d’user de la plus grande rigueur envers Babeuf.

En juillet 1791, un certain Gouy de la Myre le dénonçait au même accusateur pour avoir exprimé « le vœu anticonstitutionnel de substituer une république au gouvernement monarchique dont nos sages législateurs ont consolidé les bases ». De l’aveu de ses adversaires, Babeuf nous apparaît donc, dès 1791, partisan de la souveraineté du peuple et républicain. Nous allons le voir, cette même année, réclamer le « droit pour tous de voter » dans une lettre à un de ses anciens abonnés du Correspondant picard, Coupé (de l’Oise), qui venait d’être élu membre de l’Assemblée législative. Dans cette lettre, en date du 10 septembre 1791 (Espinas, La Philosophie sociale du xviiie siècle et la Révolution, p. 215, note ; voir aussi Histoire socialiste, t. IV, p. 1538 et suiv.), Babeuf, après avoir eu des tendances communistes — nous l’avons vu tout à l’heure — et avant de protester contre la loi agraire — nous le verrons chap. xii — se déclarait partisan de cette loi et, par elle, de la mise à la disposition de chacun d’une portion suffisante de terre. Du reste, il semblait déjà favorable à cette idée dans son Cadastre perpétuel et, de même qu’à cette époque, il voulait « assurer à tous les individus premièrement la subsistance, en second lieu une éducation égale » (Espinas, Ibid., p. 404). Ses « vœux » sont (Id., p. 407) : « qu’il n’y ait plus de division des citoyens en plusieurs classes ; admission de tous à toutes les places ; droit pour tous de voter ; d’émettre leurs opinions dans toutes les assemblées ; de surveiller grandement l’assemblée des Législateurs ; liberté des réunions dans les places publiques ; plus de loi martiale ; destruction de l’esprit de corps des gardes nationales en y faisant entrer tous les citoyens sans exception et sans autre destination que celle de combattre les ennemis extérieurs de la Patrie ». Toutefois, il faut, dit-il, renoncer à ces principes lorsqu’on ne veut pas la loi agraire ; sans elle, « liberté, égalité, droits de l’homme, seront toujours des paroles redondantes et des mots vides de sens » (Id., p. 408). « La fin et le couronnement d’une bonne législation est l’égalité des possessions foncières (Id., p. 409) ;… à l’exception de ce que chaque individu aurait son patrimoine inaliénable qui lui ferait dans tous les temps et toutes les circonstances un fonds, une ressource inattaquable contre les besoins, tout ce qui tient à l’industrie humaine resterait dans le même état qu’aujourd’hui » (Id. p. 407).

Obsédé par le partage de la terre, Babeuf n’est pas encore socialiste, mais il est en bonne voie pour le devenir. La substitution momentanée de la loi