Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/242

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certaine part du bénéfice pour sa mise de fonds et n’était responsable que jusqu’à concurrence de celle-ci ; le directeur de l’entreprise avait, soit une fraction des bénéfices, soit un traitement fixe avec une part d’intérêt.

La loi du 24 août 1793 avait supprimé toutes les associations « dont le fonds capital repose sur des actions au porteur » et décidé (art. 2) que, « à l’avenir, il ne pourra être établi, formé et conservé de pareilles associations ou compagnies sans une autorisation des Corps législatifs ». Cette situation fut encore aggravée par la loi du 26 germinal an II (15 avril 1794) portant (art. Ier) : « les compagnies financières sont et demeurent supprimées. Il est défendu à tous banquiers, négociants et autres personnes quelconques, de former aucun établissement de ce genre, sous aucun prétexte et sous quelque dénomination que ce soit ». Mais, en vertu de la loi du 30 brumaire an IV (21 novembre 1795), « la loi du 26 germinal de l’an II concernant les compagnies et associations commerciales, est abrogée ».

Forcés de s’adresser à une ville déterminée pour un article capital, les négociants avaient contracté l’habitude, afin de compléter leurs chargements, de prendre dans la même ville d’autres articles qu’ils pouvaient trouver ailleurs ; il s’était, en conséquence, établi dans ces villes des intermédiaires entre les fabricants de divers articles et les détaillants du dehors. Fabricants et détaillants se plaignirent dans notre période de l’avidité de ces intermédiaires prélevant, disait Le Coulteux dans la séance du Conseil des Anciens du 2 thermidor an VI (20 juillet 1798), « un intérêt exorbitant et inconnu jusqu’à nos jours ».

Si les commerçants avaient raison de se plaindre d’inconvénients dont ils n’étaient pas seuls à souffrir, le public eut, en outre de ces inconvénients qui atteignaient plus ou moins tout le monde, de trop légitimes sujets de plaintes contre les procédés des commerçants. Les protestations contre leurs fraudes sur la qualité et la quantité des marchandises furent si générales qu’en maintes circonstances on réclama l’intervention en ces matières de la loi et des autorités ; une proposition en ce sens, visant les étoffes et les draps, fut notamment discutée et repoussée par le Conseil des Anciens, grâce surtout aux efforts de Le Coulteux, appartenant au haut commerce de Rouen, qui disait dans la séance du troisième jour complémentaire de l’an VI (19 septembre 1798) : « La surveillance ne peut s’accorder avec la liberté qu’autant qu’elle est invisible ; elle ne doit jamais s’ingérer dans les formes que je peux ou que je veux donner à l’œuvre de mes mains ». Nous verrons dans le paragraphe 8 que messieurs les capitalistes parlaient d’une manière différente lorsqu’il s’agissait de la classe ouvrière et de la seule marchandise dont celle-ci dispose et dont ils sont les consommateurs, de la force de travail. Mais je signalerai tout de suite la conduite des boulangers de Paris. Leur mauvaise foi, leur « friponnerie », suivant le mot d’un rapport de police (recueil d’Aulard, t. Il, p. 518) du 26 frimaire an IV (17 décembre 1795), suscitait depuis plus d’un an des