Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/254

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et un moulin… Elle avait 96 métiers et 2 200 broches en activité : aussi faisait-elle vivre 160 ouvriers dont le nombre devait être porté à 200 ». Dans un compte rendu de Fourcroy, conseiller d’État, en mission dans le Calvados, la Manche et l’Orne en floréal an IX (avril 1801), on lit (Rocquain, État de la France au 18 brumaire, p. 205) : « À Gonneville, qui se trouve situé à trois lieues de Valognes et de Cherbourg, il a été établi, depuis quatre ans, une filature de coton par les soins du citoyen Dauphin. Une roue à eau fait mouvoir 950 broches placées dans cinq étages. On fait 140 à 150 livres de fil de 4 à 8000 aunes à la livre. Le fil est porté à Rouen et à Louviers où il alimente d’autres fabriques. 160 hommes sont employés tous les jours dans la filature de Gonneville ». Comme le résultat indiqué équivaudrait à dire qu’on faisait seulement du fil allant du n° 5 au n° 10, il est clair qu’il y a au moins une faute d’impression ou plutôt de copie que le Publiciste (p. 3) du 11 frimaire an IX (2 décembre 1800), c’est-à-dire paru six mois avant le rapport de Fourcroy, va nous permettre de corriger. D’après ce journal il y avait 960 broches et non 950, les 140 à 150 livres de fil étaient produites en vingt heures, le fil allait de 14 000 à 18 000 aunes à la livre ancienne, ou de notre n° 17 au n°22, ce qui, sauf nouvelle erreur, n’avait rien d’extraordinaire.

Quoi qu’il en soit, la plupart de nos fabricants se tenaient, à la fin du xviiie siècle, au-dessous du n° 51 (Moniteur du 25 novembre 1806, rapport du jury de l’exposition) ; et, par les indications du nombre de broches des machines exposées à l’exposition de 1806 (Moniteur du 4 décembre), on voit que les machines d’au moins 100 broches étaient rares. Malgré le nombre relativement élevé des filatures mécaniques de coton établies alors en France, le succès, d’après un rapport de Bardel, Molard, etc., au ministre de l’Intérieur, en date du 29 fructidor an XI - 16 septembre 1803 (Bulletin de la société d’encouragement pour l’industrie nationale, p. 137, t. III) est resté incertain jusqu’à l’installation de la filature de Bauwens à Passy, dans l’ancien couvent des Bonshommes ou Minimes de Chaillot, qui était presque entièrement situé entre ce qui est maintenant le boulevard Delessert, les rues Le Nôtre, Beethoven et Chardin.

Liévin Bauwens était un Belge qui, après avoir, en 1796 et 1797, participé à diverses spéculations du Directoire, bravant la sévérité des lois anglaises contre l’exportation des machines, réussit à faire passer, démontés et cachés dans des balles et des caisses de produits coloniaux, les appareils nécessaires à la création d’une filature au moyen du mule-jenny ; il gagnait en même temps quarante ouvriers anglais qui se rendirent sur le continent. Un arrêté du Directoire du 25 ventôse an VI (15 mars 1798) l’avait, ainsi que son frère, autorisé à charger sur six petits navires danois « les métiers et mécaniques par eux commandés en Angleterre et à les faire transporter en France… renfermés dans des denrées des Indes ou des colonies anglaises » (Archives nationales, A F* III 186). Un deuxième et un troisième envoi échouè-