Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/255

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rent, Bauweng parvint à quitter l’Angleterre, mais il perdit beaucoup d’argent et fut condamné à mort par contumace.

Il ne chercha pas à monopoliser ses machines ; il les laissa,au contraire, visiter, imiter, et les perfectionna ; elles constituaient un assortiment exécutant, outre l’opération même du filage, les opérations antérieures indispensables du cardage. On avait bien, depuis plus de dix ans, des machines cylindriques à carder le coton — Daubermesnil, dans un rapport sur le budget de l’Intérieur présenté aux Cinq-Cents le 3 vendémiaire an VII (24 septembre 1798), parlait d’un cylindre qui, « par le concours de deux personnes », faisait en un jour « l’ouvrage de 80 » — mais elles laissaient beaucoup à désirer sous le rapport de la perfection du travail. Toutefois cet assortiment n’existait certainement pas, avant la fin de notre période, tel que lorsqu’il a été récompensé au début du xixe siècle ; aussi n’en indiquerai-je pas les résultats et me bornerai-je, sur la productivité de la filature mécanique du colon à cette époque, à un renseignement que j’ai trouvé aux Archives nationales (délibérations du Directoire, division des finances, registre n° 9, AF*m189).

Il y est question, à la date du 16 messidor an VII (4juillet 1799), de l’établissement « à l’instar des manufactures anglaises », créé dans l’ancien grand séminaire de Bordeaux par la compagnie Charles Lachauvetière (Lacau, Laprée et Jalby), et dont trois machines, en particulier,surpassent « tout ce qui a paru jusqu’à présent en France dans ce genre » : « une femme seule met en mouvement avec la plus grande facilité une mécanique, propre à filer, de 204 fuseaux filant par minute 257 aunes d’un fil aussi uni et aussi fin qu’on puisse le désirer ». C’est-à-dire que chaque fuseau ou broche donnait par minute 1 m. 50 de fil. Il est fâcheux que le numéro du fil n’ait pas été indiqué d’une manière précise ; les archives municipales de Bordeaux et départementales de la Gironde ne renferment au sujet de cette manufacture que des documents insignifiants.

Afin de permettre d’apprécier le plus ou moins d’importance des machines à cette époque, je signalerai que, pour l’industrie où le machinisme avait accompli le plus de progrès, pour la filature du coton, les trois quarts de la consommation étaient toujours produits à l’aide du rouet. C’est là ce que déclare M. Michel Alcan (Traité de la filature du coton, 2e édit., p. 146) qui semble avoir tiré ce renseignement d’un « document adressé par la Chambre de commerce d’Amiens au ministère de l’Intérieur en 1806 et déposé au Conservatoire des arts et métiers » (Ibid., p. 140) où, recherché sur ma demande, il n’a pu, m’a-t-on dit, être retrouvé. Une copie heureusement existe dans les archives de la Chambre de commerce d’Amiens. De ce très intéressant document il ressort que, encore en 1806, les « cotons sont cardés à la main ;… ils sont ensuite filés en gros au rouet » et enfin préparés à l’aide « des mécaniques anciennes dites Jeannettes de 60 à 100 broches », alors qu’il y avait à Amiens « la filature continue mise en action par un moulin à