Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/297

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mum ». Il constatait que la masse qui, dans son ensemble, se préoccupe plus de la réalité que des principes, commençait à se détacher de la République ; qu’on pouvait la reprendre en recourant à des institutions nouvelles, à des réformes lui donnant quelque satisfaction, « et que ce n’est que le gouvernement républicain avec lequel il est possible qu’on y arrive ». Son contact, dans les prisons de Paris et d’Arras, avec d’anciens Jacobins, l’avait amené à juger le 9 thermidor autrement qu’il ne l’avait fait : « Osons dire, continuait-il, que la Révolution, malgré tous les obstacles et toutes les oppositions, a avancé jusqu’au 9 thermidor et qu’elle a reculé depuis ». En présence du danger royaliste et quoique les thermidoriens eussent commis de grandes fautes, il approuvait le « ralliement des patriotes à la Convention » en vendémiaire ; mais cela, ajoutait-il, ne pouvait durer qu’à la condition que le gouvernement n’essayât pas de « louvoyer entre deux partis, en paraissant les vouloir comprimer l’un et l’autre et gouverner avec le seul appui de la force militaire ». C’est en réclamant la Constitution de 1793 qu’il terminait ce très clairvoyant exposé dont l’esprit politique peut nous servir de modèle, et qui a le mérite de prouver qu’en France la défense de la forme républicaine est la véritable tradition socialiste.

Le Directoire, dont Babeuf démasquait si justement les intentions secrètes, chercha pendant les premiers temps à se concilier les républicains avancés, non par des satisfactions d’idées de nature à consolider la République et à affaiblir ses adversaires, mais exclusivement par des avantages personnels : distribution de secours à un grand nombre d’entre eux redevenus libres, mais se trouvant sans ressources, ce qui était bien tout en étant insuffisant ; subventions à leurs journaux pour leur fermer la bouche, ce qui était mal ; nomination de plusieurs à des emplois vacants par l’élimination des royalistes à qui on avait dû retirer l’administration après la leur avoir livrée. Les places dont le Directoire pouvait disposer à ce moment étaient exceptionnellement nombreuses : dans plusieurs départements, les assemblées primaires s’étaient séparées sans avoir procédé à l’élection de tous les fonctionnaires et de tous les magistrats qu’elles étaient chargées d’élire ; les Conseils confièrent au Directoire le soin, jusqu’aux élections de l’an V (1797), de désigner les administrateurs et les magistrats non élus (loi du 25 brumaire an IV-16 novembre 1795), de remplacer les juges des tribunaux civils et les juges de paix dont la place était vacante par suite de démission ou de décès (lois des 22 et 24 frimaire-13 et 15 décembre), de nommer les administrations municipales qui n’avaient pas été formées (loi du 25 frimaire-16 décembre), de choisir, mais pour six mois seulement, les administrations municipales de Bordeaux, Lyon, Marseille et Paris (loi du 4 pluviôse an IV-24 janvier 1796) qui auraient dû être élues par les assemblées primaires spécialement convoquées à cet effet (loi du 19 vendémiaire an IV-11 octobre 1795).

Depuis l’amnistie, les anciens Jacobins se réunissaient dans divers cafés,